mercredi 14 mai 2014

La dette extérieure est-elle un fardeau pour l'avenir?

Je veux compléter un point abordé dans le post sur les mouvements de capitaux (lien). 

Dans ce post, je dis qu'un pays ayant une balance courante négative est un pays qui investit plus qu'il n'épargne, ce qui le conduit à détériorer sa position extérieure nette. On m'a récemment demandé si c'est bien ou si c'est mal. La réponse, comme vous pouvez vous en douter, est que ça dépend. Déjà de votre définition du bien et du mal, mais si on reformule en termes économiques, on peut se demander si c'est soutenable, si ça favorise ou dégrade la situation à long terme. 

On sait que le PIB est la somme des revenus des entités résidentes, ces revenus étant ensuite: 

1) consommés, par l'Etat et les ménages principalement.

2) investis dans le pays, c'est-à-dire qu'ils servent à ajouter du capital à l'économie. Si vous achetez une maison à un autre ménage, il n'y a aucun investissement de fait, puisque vous ajoutez du capital à votre bilan mais l'autre ménage en retire le même montant du sien. 

3) investis à l'étranger. 

On a donc Y = C + I + BC
où BC est la balance commerciale. I s'appelle également la Formation Brute de Capital Fixe (FBCF). Enfin, C est la consommation des ménages et de l'Etat réunis : les impôts servent à donner à l'Etat les moyens de consommer pour vous. Les retraites ne sont pas de la consommation de l'Etat, c'est juste un transfert dans le temps. Le salaire des professeurs est de la consommation publique, elle est même individualisable car on peut identifier exactement pour qui l'Etat consomme des professeurs (les ménages dont les enfants vont à l'école). La solde des militaires est de la consommation publique mais elle n'est pas individualisable. 

Prenons par exemple la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. 

Source : Eurostat

L'Allemagne consomme 76.9% de son revenu, en investit 16.7% en Allemagne, puis investit les 6.3% restant à l'étranger, soit parce que les banques allemandes achètent des titres de dette français ou italiens, soit parce que les ménages allemands achètent un pied-à-terre aux Baléares. 

La France consomme 82.4% de son revenu, en investit 19.6% en France, mais doit trouver des investisseurs étrangers à hauteur de 2% de son PIB pour combler le déficit d'épargne correspondant. 

Le Royaume-Uni consomme 87.3% de son revenu, en investit seulement 14.5% et malgré cela doit trouver 1.6% d'investissement étrangers. 

Ceci n'est qu'une égalité comptable, on ne peut pas dire simplement que la balance commerciale est négative parce que l'Etat consomme l'argent prêté par des banques étrangères mais que tout le reste est à l'équilibre; ni parce que les entreprises investissent tellement plus en France qu'elles ont un fort besoin en capital, dont une partie vient de l'extérieur; ni parce que les ménages français s'endettent auprès de banques en partie étrangères pour construire leur maison. Tout cela est certainement un peu vrai, mais regarder un chiffre seul ne donne aucune information. D'autant que d'après le principe d'universalité budgétaire, on ne peut pas associer une recette donnée à une dépense donnée (est-ce-que je travaille la première ou la dernière semaine du mois pour payer mon loyer?). 

Cependant, la fourmi de la fable dira qu'il vaut mieux que le pays ait une balance commerciale positive, c'est pourquoi il est naturel pour beaucoup d'avoir un biais en faveur du surplus, même si cela passe par la privation. C'est très moraliste. Mais l'économie n'est pas une fable morale. 

Comparativement à l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni s'endettent vis-à-vis de l'extérieur de 8 points de PIB de plus chacun. Pour le Royaume-Uni, ces 8 points de plus se retrouvent entièrement dans la consommation, publique comme privée, la FBCF étant même plus faible qu'en Allemagne. En somme, comparativement à l'Allemagne, le Royaume-Uni (Etat + ménages + entreprises) s'endette pour consommer. 

Pour la France, le bilan est plus mitigé. La consommation privée est identique, mais la consommation publique et la FBCF sont supérieures, donc comparativement à l'Allemagne, la France dans son ensemble s'endette à l'extérieur pour payer de la consommation publique et de l'investissement. On peut d'ailleurs regarder l'investissement public et privé, et on constate en 2012 (les données de 2013 ne sont pas encore dispos pour ces deux pays) que l'investissement privé en France est de 16.6% contre 16.1% pour l'Allemagne. Donc un quart de l'écart d'investissement provient du fait que le secteur privé français investit plus, et trois quart du fait que l'Etat français investit plus. 

D'ailleurs si on regarde la situation de la France puis 1997. Je note trois points dans le temps : en 1997, la balance commerciale de la France était positive, en 2004 elle était quasi nulle, en 2013 elle est négative. Que s'est-il passé? 
Source Eurostat
De 1997 à 2004, la balance commerciale est devenu nulle non pas parce que les ménages ou l'Etat se sont mis à consommer une plus grande part de leur revenu qu'auparavant, mais parce que l'investissement a augmenté. On a donc arrêté d'investir à l'étranger pour investir en France. De 2004 à 2013, l'investissement n'a que très légèrement augmenté, mais les consommations publique comme privée ont augmenté de près de 1 point de PIB.

Que retenir de tout cela? D'abord que faire du surplus pour le principe de faire du surplus n'a aucun sens. Ce surplus commercial peut très bien être investi dans les frontières du pays, augmentant la demande intérieure et rendant la balance commerciale nulle. Mais pourquoi certains pays maintiennent-ils des surplus commerciaux? Cela peut provenir de leur modèle économique très productiviste, lié aux secteurs dans lesquels l'économie s'est spécialisée. Les comportements de consommation et d'épargne étant assez rigides et dépendant fortement des structures sociales et institutionnelles, les agents peuvent être forcés d'investir à l'étranger par manque d'opportunité ou de besoin d'investissement dans leur pays. 

On retrouve ce comportement dans des pays à la population déclinante (Japon, Allemagne) : les investissements locaux ne sont pas payants, rien de sert de construire de nouveaux immeubles, nouvelles routes, nouveaux commerces si personne ne les utilisera. Les ménages japonais et allemands cherchent donc des rendements ailleurs. Dans des pays très inégalitaires ou ne cherchant pas à se développer, la même chose peut se produire : les oligarques accumulent des actifs étrangers, ce qui n'a aucun effet sur la population locale. 

De même, une balance commerciale négative servant à financer un surplus d'investissement peut traduire un certain dynamisme de l'économie : forte croissance démographique ou fort renouvellement des technologies, ce qui conduit à construire de nouvelles infrastructures ou bien à renouveler les anciennes. Pour éviter de se priver de consommer, on peut s'endetter à l'extérieur (auprès des pays à population déclinante par exemple), mais tant que le PIB nominal croît en moyenne plus vite que la dette, celle-ci est largement soutenable (voir le cas des USA par exemple). Si les investissements permettent en outre d'améliorer les perspectives de croissance, cela rend le critère de soutenabilité encore plus facile à atteindre. 

Enfin, une balance commerciale négative servant à financer la consommation n'améliore pas les perspectives de croissance à long terme, mais peut toujours être soutenable si le PIB croît tout de même plus vite. Le critère de soutenabilité est cependant plus contraignant. 

Bref, les seules questions qui valent sont : 
1) L'économie se développe-t-elle comme elle le devrait, réalise-t-elle les meilleurs investissements? 
2) La façon dont ces investissements est financée, que ce soit par l'épargne ou par l'endettement, est-elle optimale/soutenable? 


NB : Le déficit public n'existe pas dans cette analyse, car c'est la différence entre les transferts monétaires nets des ménages vers l'Etat (impôts et cotisations moins retraites, allocations, etc...) et la somme de la consommation publique et de l'investissement public. La variable cachée est donc les transferts nets, dont l'ajustement ne change rien à la situation extérieure du pays. 




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