mardi 16 juin 2015

Pourquoi le chômage augmente-t-il?

Vaste sujet, sur lequel il est très difficile d’avoir les idées claires. Certains blâment la mécanisation ou la concurrence avec les pays pauvres, d’autres le recul de l’âge de départ à la retraite ou l’arrivée des femmes dans la population active, et d’autres encore la Crise, malaise indéfinissable dont j’entends parler depuis ma naissance, et cette cacophonie entretient la confusion dans laquelle les Français baignent depuis la fin des Trente Glorieuses, époque bénie du Petit Nicolas et de la guerre d’Algérie. 

En vérité, le chômage n’augmente pas tout le temps, parfois il baisse même : voici un graphique représentant le taux de chômage en France métropolitaine depuis 1975, publié par l’Insee. 


Le premier constat, c’est qu’il a effectivement nettement augmenté de 1975 à 1985, passant ainsi de 3% de la population active environ à près de 9% en moyenne depuis. Le deuxième constat, c’est qu’il fluctue beaucoup, entre un minimum de 6,8% au premier trimestre 2008 et un maximum de 10,4 % atteint à deux reprises, en 1994 et 1997. 

Pour obtenir une telle hausse du niveau de chômage de long terme (hors fluctuations de court-terme), il faut que des caractéristiques intrinsèques au marché du travail aient changé. Par exemple, cela peut provenir d’une augmentation du chômage dit « frictionnel », c’est-à-dire que les gens changent plus souvent d’emploi qu’auparavant, à dessein ou non, avec une période incompressible de chômage entre deux emplois : la durée moyenne au chômage dans les années 70 était de 16 mois, elle est tombée à 13 mois de 1980 à 2010, et est de nouveau de 16 mois depuis 2000, ce qui suggère que le chômage est un phénomène plus fréquent mais pas plus durable qu’avant. Cela peut également provenir d’un écart permanent entre la productivité et le coût réel de l’emploi pour une partie plus importante de la population, mais l’effet sur l’emploi de l’instauration d’un salaire minimum qu’on trouve dans la littérature est trop faible pour expliquer la hausse depuis 1970. 

En revanche, le ralentissement de la croissance de long terme ne peut pas expliquer cette hausse du chômage de long terme. La croissance de long-terme représente la croissance du potentiel de production de l’économie, qui dépend de la productivité, des caractéristiques du marché du travail, et de la population active. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, une dégradation des caractéristiques du marché du travail cause un ralentissement de la croissance potentielle, et non l’inverse. De même, un ralentissement de la productivité signifiera juste qu’un emploi donné contribuera moins à la croissance, mais ne dit rien sur la dynamique de l’emploi. Et il en est de même pour les variations de population (entrée des femmes sur le marché du travail, immigration, hausse passée de la natalité, recul de l’âge de départ à la retraite), supposées n’avoir aucun effet sur le chômage de long terme. 

A court-terme, c’est différent. Des évènements exogènes perturbent l’équilibre et causent des fluctuations, qu’on essaie de distinguer entre fluctuations liées à l’offre (= les capacités de production) et fluctuations liées à la demande (= la consommation et l’investissement). Dans le cas de fluctuations exclusivement liées à l’offre, on ne s’attend pas à un effet majeur de premier ordre sur l’emploi et le chômage. Par exemple, un ralentissement de la productivité dans une économie tournant à plein régime se traduira par un ralentissement des salaires, de la croissance et de la consommation, à emploi inchangé. Il peut cependant y avoir des effets de second ordre s’il existe des frictions réelles dans l’économie, par exemple si l’innovation requiert de déplacer les travailleurs d’un secteur vers un autre, et que cela ne se fait pas du jour au lendemain. 

Dans le cas de fluctuations exclusivement liées à la demande, tout dépend des frictions dites nominales, c’est-à-dire à quel point le salaire nominal permet de maintenir le plein emploi. Par exemple, considérons que deux facteurs sont utilisés dans la production, le capital et le travail. Les entreprises choisissent le mix capital/travail optimal selon les coûts réels relatifs de chacun (plus un facteur est « relativement » cher, moins il est utilisé dans le mix). Dans un monde où la production est contrainte par une demande basse, les entreprises vont chercher à réduire leurs capacités de production. Si les coûts relatifs du capital et du travail restent inchangés, elles vont garder le même rapport entre les deux et réduire leurs investissements et leurs embauches, ce qui réduit l’emploi. Le seul moyen de maintenir l’emploi est de changer le mix capital/travail au profit de ce dernier, ce qui passe par une baisse du coût du travail relativement au coût du capital (ou bien de résoudre la crise de demande). Or l’existence de rigidités nominales sur les salaires ne permet pas au coût réel du travail de diminuer, et si l’inflation ralentit fortement, c’est même l’inverse qui se produit. 

Il peut se passer des choses différentes d’un pays à un autre. Par exemple, après la crise, le Royaume-Uni a connu une forte réduction du coût du travail (plus forte inflation, plus forte mobilité sectorielle), et a permis d’augmenter la part du travail dans la production, au détriment du capital. La contrepartie du modèle anglais est la forte réduction de la productivité, qui a étonné les observateurs et a inquiété les économistes, le Royaume-Uni ayant pris le risque de rendre permanente la perte de valeur ajoutée consécutive à la crise, pour un bénéfice seulement temporaire (baisse du chômage plus rapide).  En France, l’exact contraire s’est produit, le mix capital/travail est resté sensiblement le même, la productivité ne s’est pas effondrée, au détriment de l’emploi. Aucun des deux modèles n’est strictement préférable à l’autre. Le modèle anglais rend les effets de la crise plus diffus mais prend plus le risque de les rendre permanents. Le modèle français préserve le capital humain et le capital productif, mais est moins flexible. 

Cette inertie du modèle français peut d’ailleurs être à l’origine pour partie de l’élévation du taux de chômage moyen depuis 1980, si les crises sont de plus en plus rapprochées : l’emploi mettant plus de temps à se remettre d’une crise, la crise suivante arrive avant qu’on ait pu se remettre de la précédente. Le taux de chômage de long terme est peut-être nettement plus bas que 6.8%, mais on n’a jamais eu le temps de l’atteindre. 

Mais aujourd’hui qu’en est-il ? Un moyen de tester si le chômage est surtout conjoncturel ou surtout structurel est de regarder ce qu’il se passe lorsque la population active augmente fortement ou diminue fortement. Si on néglige les effets dits de flexion ou de découragement (les entrées et sorties de la population active dépendent partiellement de l’état du marché du travail), et qu’on admet que le modèle français préserve plutôt le mix capital/travail, des variations de population active n’ayant a priori aucun effet sur la demande (par exemple, un départ à la retraite ne change pas le nombre de consommateurs, alors que l’arrivée d’un immigrant si) devraient se traduire par des variations du nombre de chômeurs. Le graphique ci-dessous décompose la variation du taux d’activité depuis 1976 en taux d’emploi et taux de chômeurs (nombre de chômeurs/ population totale, différent du taux de chômage). Les années suivant une crise de demande (1993-1995 ; 2002-2004 ; 2009-2013) lorsque la population active accélère, le nombre de chômeurs accélère, alors que l’emploi reste bas. En l’occurrence, le taux d’emploi est stable depuis 2010, mais le taux de chômeurs augmente car le taux d’activité augmente. 

Désormais, plusieurs choses peuvent se passer. Soit la demande reste déprimée, et les politiques visant à réduire le coût du travail permettent d’enrichir la croissance en emplois (ó baisser la productivité), et on s’oriente vers le modèle anglais (sans aller aussi loin je pense, peut-être que pour des raisons culturelles et/ou institutionnelles le travail est moins mobile d’un secteur à un autre en France). Soit contrainte de demande disparaît et on revient au taux maximum d’utilisation des capacités de production (TUC), et dans ce cas le fait que le taux d’activité ait augmenté depuis 2009 laisse présager un rebond plus fort que n’a été la chute : non seulement l’emploi se rétablit, mais il doit augmenter pour absorber la hausse du taux d’activité, ce qui stimule l’investissement et crée un cercle vertueux offre>demande>offre. 






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