vendredi 19 septembre 2014

Wikipedia à la solde du gouvernement

Je n'avais jamais remarqué avant qu'on m'envoie le lien, mais cela faisait longtemps que je  n'avais pas vu autant de statistiques positives sur l'économie française :


Gardez le moral! 

I'm an Alexandre Delaigue wannabe

Après un excellent exposé du hiatus entre le consensus économique et la politique européenne, Alexandre Delaigue frappe encore en expliquant pourquoi la politique économique de la France est ce qu'elle est depuis 2009, indépendamment de la couleur politique du Président. Comme je suis jaloux, je reproduis ici les deux articles. C'est complètement inutile puisque mes rares lecteurs sont probablement tous abonnés au blog d'Alexandre, mais c'est un moyen de marquer mon adhésion totale à ses propos. 

Ses articles ne traduisent pas une volonté de blâmer l'Europe pour tous nos maux, ni d'absoudre le gouvernement de toute responsabilité. Je les vois plutôt comme un encouragement à s'intéresser à la politique européenne, et d'arrêter d'y envoyer les déchets de la scène nationale : si les commissaires et députés européens sont incompétents, la politique européenne est catastrophique. La dernière commission Juncker semble être une évolution, du moins pour les commissaires nommés par les autres États Membres. Alexandre fait aussi passer le message qu'il ne faut rien espérer d'une alternance politique purement franco-française, et que le saut dans l'inconnu proposé par Marine Le Pen ressemble beaucoup à un suicide collectif. 


La politique économique pour les nuls
Supposons qu'en 2006, avant le début de la crise financière, vous ayez eu envie de savoir ce qu'il faut faire pour la croissance et l'emploi, en cas de crise économique. Vous savez que l'économie n'est certainement pas une science exacte, qu'il y a dans ce domaine des débats parfois virulents. Mais ce n'était pas le cas à l'époque, marquée par un assez large consensus sur le sujet. Vous auriez donc regardé un manuel, ou un cours de base, destiné aux étudiants débutants, pour savoir ce qui constitue l'opinion standard des économistes. Voici ce que vous auriez trouvé :
- Le meilleur instrument en cas de crise économique, ou d'inflation, est la politique monétaire de la banque centrale. Fondamentalement, les récessions s'expliquent par un manque de monnaie dans l'économie. Les problèmes de politique monétaire (en particulier les contraintes liées à l'étalon-or) expliquent l'essentiel de la crise des années 30. L'inflation est aussi un phénomène qui peut être combattu par la politique monétaire.
- La politique budgétaire (essayer de réguler l'activité par la dépense publique ou la fiscalité) ne sert pas à grand chose à cause du point précédent. Dès lors que la banque centrale a décidé de ce qui lui semblait être un objectif, elle peut contrebalancer l'essentiel des actions du gouvernement. Si celui-ci augmente son déficit pour élever la croissance à court terme, la banque centrale augmentera les taux d'intérêt et le gouvernement aura agi en pure perte. On pourrait ajouter que les délais et le mode d'action du gouvernement (un plan de relance doit être voté, mis en place, risque de donner lieu à des marchandages électoraux sordides) en font un instrument peu commode.
- Ces politiques permettent, si elles sont menées à bon escient, de faire en sorte que l'économie produise à son potentiel, c'est à dire, au plein emploi étant données ses structures (infrastructures, niveau d'éducation de la population, système réglementaire, etc). Si l'on veut élever le potentiel de croissance à long terme des économies, il faut modifier ces structures -  c'est ce qu'on appelle dans le jargon d'économiste des "réformes structurelles". il est en pratique bien difficile d'identifier ce que sont des réformes structurelles efficaces. Certaines mesures faisaient à l'époqueconsensus (pour les pays en développement) mais avec des résultats franchement mitigés. De manière générale, il n'y a pas grand chose que les gouvernements puissent faire pour élever la croissance à long terme.
Le débat japonais et la crise financière
Si vous aviez eu envie d'approfondir le sujet, vous auriez constaté que la situation de l'économie japonaise, à l'époque, donnait lieu à de nombreux débats. Se posait en particulier la question de ce que l'on peut faire lorsque la banque centrale n'a "plus de munitions", c'est à dire, qu'elle ne peut plus baisser les taux d'intérêt parce qu'ils sont à zéro. Il se passe en effet des choses étranges lorsque les taux d'intérêt sont à zéro, et la banque centrale a du mal à agir. A ce point, deux thèses étaient présentes. Pour les uns (comme le futur président de la Fed Ben Bernanke), la politique monétaire était encore possible, à condition de recourir à des moyens non conventionnels. Pour d'autres, la politique monétaire était rendue trop impotente par des taux voisins de zéro, ouvrant la nécessité de mener, en parallèle, une politique budgétaire active.
Ce débat n'était pas tranché - les débats économiques ne le sont jamais. On pourrait dire aussi que les économistes se trompent tellement souvent que se préoccuper de ce qu'ils racontent n'est pas très utile.
Mais lorsque la crise est survenue, De nombreux pays ont appliqué le manuel de base des économistes. Certes, cela n'a pas été de soi : la réalité est toujours plus compliquée que les modèles des économistes. Mais dans l'ensemble, la réaction à la crise a correspondu à ce que prévoyaient les manuels, avec les résultats prévus par ceux-ci. Un plan de relance budgétaire aux USA, une politique monétaire expansionniste puis non conventionnelle, menée par Ben Bernanke. Certains économistes lui reprochent de ne pas en avoir fait assez, d'autres auraient voulu un plan de relance budgétaire plus ambitieux (un débat qui reproduit le débat autour du Japon). En Grande Bretagne, la banque centrale a mené une politique expansionniste pour contrebalancer en même temps l'effet du plan d'austérité budgétaire du gouvernement Cameron, sans totalement y parvenir; là encore, c'est ce qu'un manuel d'économie de base aurait prédit.
En somme, l'économie de base ne se sort pas si mal de la crise. D'ailleurs, si vous cherchez un livre de vulgarisation à succès des questions macroéconomiques récent, vous n'y trouverez rien qui aurait choqué un lecteur de manuel d'il y a 10 ans.
L'exception européenne
Mais il y a une région totalement rétive à ce consensus : c'est l'union européenne. Comme le constate l'éditorialiste Wolfgang Munchau, il y a deux principales tribus d'économistes en Europe : Les "fiscalistes" qui prônent une politique budgétaire active; et il y a surtout les "structuralistes" qui constituent l'essentiel des conseillers gouvernementaux, pour lesquels la politique budgétaire ne peut qu'élever la dette publique, et la politique monétaire être inflationniste : seules comptent pour accroître la croissance les "réformes structurelles" consistant à flexibiliser le marché du travail. Et il n'y a pour ainsi dire aucun "monétariste" qui ferait de la politique monétaire l'instrument essentiel de la régulation macroéconomique.
En France, on aura de la peine à trouver un économiste accordant de l'importance à la politique monétaire. Même les plus éloignés du consensus, qui préconisent de sortir de l'euro, le font en se focalisant sur le taux de change (vieille obsession française) et les dévaluations. Après les annonces de la BCE, vous entendrez le plus souvent comme commentaire : "ce que fait la BCE c'est très bien, mais l'essentiel est  - de mener un grand plan de relance budgétaire et d'arrêter l'austérité budgétaire - de faire des réformes structurelles du marché du travail". Vous entendrez discuter de réformes. De formation de la main d'oeuvre, etc. Vous aurez bien du mal à trouver des analyses fines de la politique monétaire européenne, ou vous devrez aller dans le monde anglo-saxon. Et vous verrez couramment desanalyses monétaires du niveau d'un élève de troisième écrites par des gens très sérieux (au cas ou, voir ce rappel).
Et cette négligence a des conséquences. Ce n'est que depuis que la BCE a avec Mario Draghi un président qui connaît bien ces questions conjoncturelles, parce qu'il a fait ses études au MIT lorsque s'élaborait le consensus actuel, que la situation a commencé à s'améliorer. Sa politique récente revient à faire avec retard ce que les anciens condisciples de Draghi (King en Angleterre, Bernanke aux USA) ont fait il y a 5 ans. Il y a de bonnes raisons de penser que la BCE, a cause de sa construction institutionnelle très particulière, ne peut pas agir aussi facilement que la Fed ou la Banque d'Angleterre; Mais le temps perdu est considérable. L'étrangeté européenne, au regard du consensus économique, est très coûteuse.


C'est entendu : personne n'aime la politique économique du gouvernement. Le président est moins populaire que l'armée Islamique en Irak. Le gouvernement passe son temps à prendre des engagements qui sontviolés à peine l'encre sèche. Il fautchanger de politique!

Ce mécontentement perpétuel se heurte pourtant à deux écueils. Premièrement, bien qu'en ruine perpétuelle, la Francene se sort pas si mal de la crise. Mais aussi et surtout, parce qu'il est beaucoup plus facile de déplorer dans le vague les politiques du moment que de proposer des alternatives réalisables, à l'efficacité plus certaine.
Imaginons que le gouvernement souhaite éviter la déroute en 2017 élever la croissance et réduire le chômage rapidement. Que devrait-il faire?
Les limites de la politique budgétaire
Croissance faible, chômage élevé; les recommandations des économistes, sont alors d'utiliser les instruments classiques, la politique monétaire ou la politique budgétaire, et à plus long terme des réformes structurelles. La question est alors de savoir à quelle échelle ces politiques sont pertinentes. La monnaie unique empêche de mener une politique monétaire à l'échelle française.
Mais les possibilités sont aussi très limitées pour la politique budgétaire. Et pas seulement en raison des traités européens, qui sont facilement contournables Supposons en effet que le gouvernement français décide de mener un vaste plan de relance en envoyant promener l'austérité germanique. Si cela est fait sans concertation avec les autres pays européens, plusieurs facteurs risqueraient d'en diminuer l'efficacité.
- Une réaction des marchés financiers, redoutant de voir le retour de la zizanie en Europe. Cela ferait augmenter le coût du financement de la dette publique au moment précis ou celle-ci augmente, limitant la capacité du gouvernement à recourir au déficit.
- Une réaction de la Banque Centrale européenne. Si celle-ci s'oppose à la politique budgétaire française, elle a des moyens très efficaces pour la torpiller, qu'elle a utilisés avec succès contre l'Irlande, l'Espagne et l'Italie.
- Si l'on en croit Christopher Sims, l'efficacité de la politique budgétaire dans un pays déjà très endetté est limitée par la réaction des ménages, qui redoutent que la dette publique accrue ne préfigure plus d'austérité à venir. Un très grand nombre de français craignent pour leur retraite à venir (probablement à juste titre); les dirigeants d'entreprises redoutent aussi une pression fiscale future plus élevée, et redouteraient l'incertitude générée par un conflit entre la France et les autres pays européens. L'ampleur exacte de ce phénomène est difficile à mesurer, mais cela viendrait limiter un peu plus l'efficacité de la relance.
- la réaction des autres pays européens : si ceux-ci continuent leurs politiques d'austérité et de réduction des salaires en même temps que la France relance sa demande interne, leur compétitivité accrue fera que la relance française leur bénéficiera plus qu'à l'économie française.
Le mythe des réformes structurelles
L'autre domaine dans lequel le gouvernement français pourrait agir, à en croire les conseilleurs, c'est par des "réformes structurelles" dont le contenu est bien flou. Et pour cause: Il n'y a pas de consensus parmi les économistes sur les réformes réellement efficaces, à l'exception de quelques généralités floues : améliorer le système éducatif, augmenter la concurrence sur les marchés, limiter l'inefficacité du système fiscal, flexibiliser le marché du travail.
Lorsqu'on entre dans le détail, néanmoins, plusieurs problèmes apparaissent. Premièrement, le coût de ces réformes, pour être efficaces, est élevé. Coût politique d'abord : les niches fiscales et les monopoles sont âprement défendus par leurs bénéficiaires. Mais un coût financier également: il faut bien souvent payer cher pour réformer. Face à ces coûts et la capacité d'influence des lobbys professionnels, les réformes initialement ambitieuses sont rapidement vidées de leur substance lorsqu'elles sont converties en lois. Et peuvent au bout du compte laisser la situation pire qu'avant.
De plus, souvent, ces réformes conduisent à échanger des coûts immédiats et certains contre des gains futurs hypothétiques. Et ces gains dépendent de la conjoncture future. Par exemple, flexibiliser le marché du travail aura pour effet d'augmenter les embauches si l'activité est forte; mais cela provoquera plus de licenciements si l'économie reste déprimée. De la même façon, cela serait peut-être appréciable pour les français d'acheter leur aspirine dans un supermarché ouvert le dimanche; mais le gain que cela générerait serait dérisoire, si tant est qu'il existe.
Enfin, les réformes structurelles nécessitent aussi un degré minimal de concertation en Europe. Les réformes allemandes du début des années 2000 ont indirectement causé la crise de la zone euro, en créant des déséquilibres majeurs avec les pays du Sud.
Coût potentiel élevé, avantages potentiels lointains et aléatoires; Pas étonnant que les reculs soient nombreux. Le rapport Armand-Rueff préconisait de réformer les professions réglementées en 1960; la reculade du gouvernement n'est ni la première ni la dernière.
Desserrer la contrainte européenne, ou faire le bon élève?
Si réellement la contrainte européenne est si forte, pourquoi ne pas la réduire? Une première stratégie pourrait être de menacer de quitter la zone euro pour obtenir des changements de politiques; voire carrément, de quitter celle-ci. Ce genre de choix pourrait apporter quelques avantages (mais assez limités - on ne peut pas dire que la politique économique française était menée de manière mirobolante avant la contrainte de l'euro, et les dirigeants français ne deviendraient pas magiquement meilleurs) ou un effondrement majeur. En tous les cas, cela ouvrirait une période de très forte incertitude. Ce genre de situation, même lorsqu'elle ne se passe pas trop mal au bout du compte, comme lors de la séparation tchécoslovaque, est très volatile et peut facilement basculer.
Il est très peu probable que les français aient envie de ce genre de saut dans l'inconnu; L'électeur moyen a plus de 50 ans, pas un âge ou l'on fait un saut dans l'inconnu. Même la Grèce, dans une situation bien pire, n'a pas fait le pas de sortir de l'euro ou de menacer d'en sortir. On voit mal la France le faire - et les perspectives dans ce cas seraient extrêmement aléatoires, avec beaucoup plus de possibilités négatives que positives.
Dès lors qu'on a rejeté la possibilité d'une sortie, reste la solution d'essayer d'orienter les politiques européennes dans le sens le plus favorable possible. Pour cela, le mieux est de faire le bon élève, laissant les coudées franches à la BCE. Son président a esquissé ce qui constitue une politique qui soutient l'activité, en coordination avec son action.
Peut mieux faire
Et c'est à cela que ressemble la politique du gouvernement. Vis à vis de l'extérieur, en faire juste assez pour espérer qu'en échange, les politiques européennes deviennent plus favorables à la croissance. Vis à vis de l'intérieur, ne pas en faire trop, pour éviter les mécontentements et d'avoir un effet négatif sur l'activité économique. Cela n'a rien de très enthousiasmant et ne satisfait vraiment personne : mais c'est la solution logique dès lors qu'on perçoit les contraintes que l'on rencontre. Et cela est fait parfois de manière adroite, comme lorsqu'on lie l'amélioration des finances publiques à l'évolution de l'inflation.
Mais trop souvent, l'action du gouvernement apparaît comme purement réactive et brouillonne. Il y aurait certainement possibilité de diminuer les dépenses publiques et les impôts d'un montant plus important.Cela soutiendrait l'activité et l'effet sur le déficit public serait acceptable, dans un contexte ou la dépense publique française est jugée (à tort ou à raison, ce n'est pas le sujet) trop élevée par les autres dirigeants européens.
Au lieu d'aller clairement dans cette direction, on assiste plutôt à un bricolage improvisé dans lequel on accumule des décisions de dépenses et d'impôts au gré des circonstances, dans le flou le plus total. Bien malin qui sait s'il paiera, l'an prochain, plus ou moins d'impôts que l'an dernier, entre les fluctuations de la TVA, des taxes sur les carburants, et de l'impôt sur le revenu (entre autres). Tout cela amoindrit l'effet de ces mesures.
Mais il ne faut pas se leurrer : étant données les circonstances, le gouvernement n'a pas beaucoup d'opportunités pour faire mieux.



jeudi 18 septembre 2014

Central banks balance sheets and growth

In times of depression, the more base money, the more GDP. Draghi promised to get the ECB balance sheet back to its 2012 level, that should be the least he can do. 



However, Japan is still struggling with low nominal growth despite BOJ activism and relatively good real GDP growth. One interesting remark, the FED managed to keep nominal GDP growth almost constant over the past five years, while the BOE stopped increasing its balance sheet, and nominal GDP slowed, which means they probably stopped to soon. 

NGDP targeting would be really awesome. 

lundi 15 septembre 2014

Supprimer des jours fériés est-il source de croissance?

Si on supprime deux jours fériés, et que toutes les conventions collectives, toutes les entreprises, tous les travailleurs indépendants s'alignent sur la mesure instantanément, alors on relève effectivement le PIB potentiel d'environ 1%. Mais ça ne booste la croissance potentielle que la première année, puisque pour relever de 1% supplémentaire l'année suivante, il faudrait encore supprimer deux jours fériés de plus. Et ainsi de suite. 

Mais ce n'est pas ce qu'il se passera. La plupart des conventions collectives accordent déjà plus de congés aux employés que le minimum légal, il y a peu de chance que cela change. Les indépendants adaptent déjà leur quantité de travail à leurs besoins et capacités, cette mesure n'aura aucun impact sur leur production potentielle. Enfin, s'il y a changement, cela sera probablement progressif. Donc si un cinquième des travailleurs augmente son offre de travail (la quantité d'heures) de 1% étalés sur trois ans, cela booste la croissance potentielle de 0,06% pendant trois ans. Pas très folichon. D'autant que les salariés qui travailleront plus sont aussi ceux pour lesquels le Medef veut réduire le coût du travail, il est peu probable que cette réforme les amène à gagner plus. 

En outre, si le PIB est contraint par la demande, augmenter l'offre ne change rien à la croissance réelle. Les réformes structurelles ne changeront pas la croissance tant qu'on ne sera pas capable de réduire l'écart de production (output gap) entre le potentiel et le réel. En revanche, augmenter l'offre, et donc à PIB réel contraint augmenter l'écart de production peut donner plus d'incitation aux autorités monétaires et budgétaires à relancer l'économie européenne : ça vaut plus le coup de mouiller la chemise pour combler 10% d'output gap que 5%. C'est un choix politique qui n'est ni rationnel, ni optimal d'un point de vue macroéconomique, mais si c'est ainsi que nos institutions fonctionnent, on peut essayer de raisonner sous cette contrainte. 

En tout cas, la proposition du Medef est archaïque et ne sert à rien d'autre qu'à cliver les opinions autour d'enjeux sans importance. Il vaut mieux accepter que la baisse du temps de travail est une tendance de fond dans une société qui s'enrichit, et que la France est peut être allée plus vite (mais pas tant) que les autres pays occidentaux dans ce domaine mais que cela ne veut pas dire qu'il faille revenir en arrière. C'est plus constructif de supprimer des barrières à l'entrée sur certains marchés, de permettre à chacun de se créer sa propre activité, de faciliter l'investissement et l'échange... Le statut d'autoentrepreneur par exemple est très intéressant, mais il y a encore trop de secteurs verrouillés, et le passage d'une activité d'appoint à une activité principale est trop difficile. 

Proposer des réformes structurelles qui auront un impact significatif et qui accompagnent les tendances de fond de la société est plus utile que ce que les partenaires sociaux ou représentants de professions réglementées seront jamais capables de proposer... 


vendredi 12 septembre 2014

Le déficit stagne, pourquoi et est-ce bien grave?

En soi non. Lorsque la croissance est plus basse que prévue, le déficit en ratio de PIB est plus haut que prévu. On sait pourquoi ça arrive et ce n'est une surprise pour personne, ce qui explique que les marchés n'aient pas bougé d'un iota à l'annonce par le gouvernement du non-respect de l'objectif en 2014. Pour cela, il faut comprendre comment les dépenses et les recettes réagissent à la croissance. 

Les dépenses sont en grande partie fixes, décidées en avance sous la forme d'une enveloppe budgétaire (G). Une petite partie dépend de la conjoncture, et augmente quand le PIB diminue (principalement les allocations chômages). Appelons p le poids de ces dépenses dans le PIB. 

Dépenses = G - p x PIB

Les recettes proviennent d'impôts proportionnels et d'impôts progressifs. Pour simplifier, on peut ranger d'un côté la TVA, la CSG, les taxes sur les produits, les cotisations sociales, qui sont proportionnelles (taux moyen a) au PIB, et l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur les revenus, qui sont progressifs et augmentent plus vites que les revenus (B). À cela s'ajoutent des recettes qui ne dépendent pas directement du PIB (ISF, taxe d'habitation, etc...) qu'on peut déduire des dépenses G par simplicité. 

Recettes =  a x PIB + f(PIB) où B(.) est une fonction convexe (quand PIB augmente de 1%, B(PIB) augmente de plus que 1%). Par exemple posons B(PIB) = B x PIB² . 

Si on s'intéresse au ratio de déficit sur PIB cela donne: 
def = G/PIB - p - a  - B x PIB

Pour la France, les impôts proportionnels pèsent 35% du PIB, la politique de l'emploi environ 2,5%, les impôts progressifs 10% et le reste de la dépense publique 50%. Cela donne un déficit public primaire (hors intérêts de la dette) de 2,5 = 50 - 2,5 - 35 - 10 points de PIB. Ce qui nous intéresse, c'est ce qui fait varier ce déficit entre deux hypothèses de PIB. Soit n le taux de croissance du PIB nominal (entre deux années, ou la différence de prévision pour la même année), on obtient : 

Variation du déficit = -n x ( g + b) où g = G/PIB = 50% et b = BxPIB = 10% 
Donc la croissance se répercute à 60% sur le déficit. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, si la croissance est inférieure de 1 point (n = -1), le déficit est supérieur de 0,6 point de PIB. Cela s'appelle le stabilisateur automatique.

Dans toutes ces équations, PIB désigne le PIB nominal, c'est à dire non corrigé de l'inflation. Si l'inflation est plus basse de 1 point que prévu, cela a donc le même effet sur le PIB nominal que si la croissance est plus basse de 1 point. Dans le budget 2014, le gouvernement avait prévu 0,9% de croissance et 1,4 % d'inflation. Ces prévisions ont été revues à 0,4% et 0,5% d'inflation. Cela correspond à une augmentation du PIB nominal en 2014 de 0,9% au lieu de 2,3%, soit un ralentissement de 1,4% dû pour deux tiers au ralentissement de l'inflation (si on aime distribuer les baffes, il y en a au moins deux tiers qui vont à la BCE, voire plus si on tient compte du lien moindre inflation - moindre croissance).  

Est-ce qu'on comprend donc la révision du déficit 2014? Le gouvernement visait un déficit à 3,6 points de PIB initialement. Si la croissance nominale n ralentit de 1,4 point on s'attend donc à une révision du déficit à la hausse de 60% x 1,4 = 0,8 point, donc 4,4 points de PIB, soit la nouvelle prévision. On peut aussi dire que même si on attribue tout le ralentissement de la croissance à l'erreur du gouvernement, si l'inflation avait été de 1,4% comme prévu alors le déficit 2014 aurait probablement été plus proche de 3,8 points de PIB. Si l'inflation avait été de 2%, comme le mandat de la BCE le mentionne, la cible de déficit du gouvernement aurait même été atteinte, malgré l'erreur sur l'inflation. 

Ce mécanisme est d'ailleurs bien compris dans les règles budgétaires européennes, qui évaluent l'effort de réduction pour tenir compte du respect de la règle de convergence vers 3%. En l'occurrence, si le déficit stagne malgré une dégradation de la conjoncture, c'est bien que le déficit "sous-jacent" (qu'on appelle le déficit structurel) a été réduit, d'environ 0,8 point en 2014. En toute logique, si elle suit la logique de ses propres règles, la Commission devrait donc accorder un délai supplémentaire à la France pour repasser sous la barre des 3%. 

La mauvaise conjoncture n'est pas du tout une bonne nouvelle, mais la question qu'il faut se poser est la suivante : faut-il compenser cette mauvaise conjoncture par plus de coupes budgétaires ou plus de hausses d'impôts? La théorie économique suggère qu'en général, l'Etat ne doit se préoccuper que de stabiliser sa dette de long terme à un niveau déterminé, peu importent les fluctuations de la demande, qui peuvent être gérées par la politique monétaire. Avec une banque centrale efficace, redoubler d'effort pour réduire le déficit n'a pas d'impact sur la croissance et les stabilisateurs automatiques sont inutiles. Si la banque centrale faillit à sa tâche, alors il est utile de laisser jouer les stabilisateurs. Mario Draghi, qui appartient au camp des économistes pensant que les Banques Centrales ne peuvent pas tout, a d'ailleurs encouragé les gouvernements de la zone euro à laisser la politique budgétaire jouer son rôle stabilisateur. D'autant que les taux d'intérêt sur la dette n'ont jamais été si bas.

PS1 : On peut remarquer qu'une partie des impôts progressifs payés en 2014 sont en fait assis sur les revenus 2013, donc ne dépendent pas directement du PIB 2014. C'est le cas des impôts sur le revenu et d'une partie de l'impôt sur les sociétés. L'élasticité du déficit à la croissance (les fameux 60% ci-dessus) est donc probablement comprise entre 50% et 60%. 

PS2 : Une règle amusante de politique monétaire consisterait à cibler non pas l'inflation mais la croissance du PIB nominal. Outre que ce serait un instrument plus efficace de politique monétaire, cela faciliterait grandement la tâche des gouvernements.  







Coût du travail : L'Allemagne est un point aberrant et ne doit pas être imitée

Excellent post de Francesco Saraceno: Lien.
"The figure shows the difference between change in labour costs in a given country, and the change in Germany (from 1999 to 2007). labour costs in OECD economies increased 14% more than in Germany. In the US, they increased 19% more, like in France, and slightly better than in virtuous Netherlands or Finland. Not only Japan (hardly a model) is the only country doing “better” than Germany. But second best performers (Israel, Austria and Estonia) had labour costs increase 7-8% more than in Germany.
Thus, the comparison with Germany is misleading. You should never compare yourself with an outlier! If we compare European peripheral countries with the OECD average, we obtain the following (for 2007 and 2012, the latest available year in OECD.Stat)

If we take the OECD average as a benchmark, Ireland and Spain were outliers in 2007, as much as Germany; And while since then they reverted to the mean, Germany walked even farther away. It is interesting to notice that unreformable France, the sick man of Europe, had its labour costs increase slightly less than OECD average.
Of course, most of the countries I considered when zooming out have floating exchange rates, so that they can compensate the change in relative labour costs through exchange rate variation. This is not an option for EMU countries. But this means that it is even more important that the one country creating the imbalances, the outlier, puts its house in order. If only Germany had followed the European average, it would have labour costs 20% higher than their current level. There is no need to say how much easier would adjustment have been, for crisis countries. Instead, Germany managed to impose its model to the rest of the continent, dragging the eurozone on the brink of deflation.
What is enraging is that it needed not be that way." 




mardi 9 septembre 2014

I don't understand most German economists.

A good example of what I mean by "most German economists" can be found in this interview of Michel Heise, chief economist at Allianz: Link. Let's go over his arguments against Quantitative Easing one by one : 
“There are several reasons why the ECB should not go down the route of QE. First, the recent low inflation rates are in part a result of the decline in oil and other commodity prices. They also reflect necessary adjustments in the eurozone periphery – wage moderation and the impact of structural reforms are feeding through into lower prices across the board, which is exactly what countries such as Greece and Portugal need to restore competitiveness and bolster purchasing power. There is no sign of a vicious circle of falling inflation expectations and consumer restraint. Inflation rates will gradually climb again as the economy recovers.“
Yes, low inflation rates are in part a result of the decline in oil and other commodity prices, but not entirely. See in the graph below total and underlying inflation (excluding commodity prices). Underlying inflation considerably slowed, from 1.7% in 2012 to less than 1% in 2014. It is much less volatile than total inflation, and hard to move. Moreover, using the slowdown in commodity prices to justify doing nothing is hypocritical, because the ECB (under President Trichet and with the Bunbesbank's approval) raised rates in 2011 to counter rising inflation, when in fact underlying inflation stayed on track. The same people that looked only at total inflation in 2011 now look only at underlying inflation, in both case to oppose expansionary policy.


Source Eurostat. Month on Month %change

Greece and Portugal do need lower inflation than Germany to restore competitiveness, but that does not mean that eurozone inflation has to stay low, it just means that Northern Europe has to be over 2% and Southern Europe below 2%, so that the average is 2%. Moreover, to quickly restore competitiveness you need a big inflation gap between Germany and Portugal, and a big gap is easier to get with Germany inflation à 3% than 0.9%. The reason for this is downward stick nominal wages. 

A big source of misunderstanding with the question of competitiveness is whether inflation in Portugal is linked to Portugal’s competitiveness outside the eurozone. The answer is no. What matters for Portugal’s competitiveness outside the eurozone is the exchange rate, which is linked to inflation in the eurozone as a whole. Another way of looking at it is that Portugal’s competitiveness outside the eurozone will improve by the same amount if it has 1% inflation versus 2% in the eurozone than if it has 0% versus 1%, what matters, again, is the inflation gap. 
“Second, although the ECB has several options when it comes to implementing QE, there are serious objections to all of them. Buying asset-backed securities or corporate bonds would expose the European taxpayer to credit risk. If the ECB bought bonds issued by eurozone governments in proportion to each country’s output, its intervention would be focused on Germany, where bond yields have already hit rock bottom, with the 10-year yield now below 1 per cent. But any programme of asset purchases that concentrates on the slower-growing economies would result in a politically unacceptable redistribution of risk in the eurozone and set the wrong incentives for fiscal policy.“
I love this argument, because it can be used in favor of QE instead of ABS-purchase. It’s true that it’s hard to evaluate the risk level of each eligible asset, unless the ECB decides to buy government bonds, for which the degree of risk is really easy to assess : almost zero. Even Greek bonds became risky only after markets understood mid-2011 that the ECB won’t be buying them. It’s true that assets purchase programs will expose the ECB, and in the end the European taxpayer to credit risk, each Member State according to its central bank’s share in the ECB. But credit risk is not exogenous. By buying assets, the ECB contributes to reducing (by a significant amount) the level of credit risk in the eurozone and in troubled countries. To think that such risk is unbearable, you need to think that these assets are overvalued, when they obviously are not and won’t be once the ECB starts QE.
As for “the wrong incentive for fiscal policy”, it just shows an obsession with fiscal policy, which was just fine before the crisis despite low borrowing rates everywhere. Structural deficits in troubled countries are falling fast, despite renewed confidence and low borrowing rates. This line of argument: “if markets don’t pressure them those lousy southern politicians won’t stop spending above their mean” is just a Greek story, it is not applicable to Portugal, Spain, Italy and even France.

But refusing to expose European taxpayers to credit is a valid argument against QE. But those who use this argument constructively are proposing instead to target the level of nominal GDP, something much more horrible than QE in the eyes of German orthodoxy, because it would imply an inflation target of 3% in the current conditions. A good discussion about the merits of QE vs not-QE is here : Simon Wren-Lewis and Scott Sumner
“Third, the impact of further monetary easing on output and price levels would be negligible. That is because the recession in many parts of the eurozone is caused by the hobbling effect of the unsustainable amounts of debt that were built up by public and private actors during the boom years. Over-indebted households and companies are unlikely to pile up more debt; on the contrary, they are trying to pay it down. This makes monetary policy ineffective. For many southern European banks, ECB liquidity has replaced the money market. It cannot be sensible to eliminate market disciplines for extended periods of time.”
Yes, money is not supply-determined, trying to increase the amount of credit and deposit when consumers and firms just use new credit to pay back old credit has virtually no effect. But we don’t really know that it is the case in the eurozone. At least, it’s not the case everywhere in Europe, for instance new credit may help Germany generate some inflation. That will surely help Italy, Spain and Portugal. If the increase in base money doesn’t translate in an increase in deposit and credit money, at least we have pushed on the gas pedal. If the car is still not moving, we can try something else.
“Fourth, the collateral damage from ultra-loose monetary policy is accumulating. Risks to financial stability are growing as investors are piling into riskier assets in search of higher returns. Already, some assets such as junk bonds are trading at what look like inflated prices.”
Ask the Sveriges Riksbank (the Swedish central bank), who started raising rates in 2010 for fear of an housing bubble and got the Swedish economy in the same mess as the Eurozone's
“Fifth, further monetary easing would delay the much-needed adjustments in the balance sheets of European banks and companies. An abundance of cost-free liquidity from the central bank enables commercial lenders to continue propping up weak creditors. It is exactly this type of “zombie lending” that has curbed growth in Japan for more than a decade. For many southern European banks, ECB liquidity has replaced the money market. It cannot be sensible to eliminate market disciplines for extended periods of time.“
This argument is the opposite of the third argument. You need to choose : will agents adjust their balance-sheet despite monetary easing, thus canceling any increase in base money, or will they use cheap credit to keep zombie creditors alive? First, it is not proven that those zombie creditors are numerous, if not there. They may have been created by too easy monetary policy in southern countries in the 2000’s (overheating in Spain was not countered by the ECB, because Germany was in trouble...), and if they have not disappeared, their conditions will not improve because markets will probably not make the same mistake and assume that risk is the same everywhere thanks to the euro. Monetary expansion may delay the adjustment, but the risk of doing nothing is greater.
“The ECB is right to assume the function of a lender of last resort for the eurozone. But it has already flooded the European economy with liquidity, for example through the targeted longer-term refinancing operations that are about to start.
The ECB’s forward guidance should not consist of further promises that free liquidity will be available forever. Banks that operate on the assumption that they can avoid the money market have no incentive to get into shape. They should be told that, sooner or later, interest rates will return to normal levels, an eventuality with which they must be able to cope.
Monetary policy alone cannot and will not return the eurozone to sustainable growth, as Mario Draghi, the ECB president, pointed out at the Jackson Hole gathering of central bankers last month. Improvements in labour markets and the investment climate, sustainable fiscal reforms and a shift of public spending towards growth-boosting investments in infrastructure and education are what Europe must focus on now. “
Forward guidance would begin by forecasting the target : if the ECB forecasts 1% inflation including the impact of its programs, it just means that the ECB is doing too little by its own standards. It would be better if it could do some price-level targeting, which would mean commit to 2.5% inflation the next year if it misses its target by 0.5%. That does not mean “free liquidity forever”. The ECB could for instance say it will not increase rates as long as inflation stays below x%, with x marginally higher than 2. 

So if I sum up, the ECB shouldn’t do QE because :
1)    Inflation below target is good (why do we have a target then?)
2)    ABS purchase is bad for european taxpayers
2bis) Southern governments will free ride and forget the 3% deficit limit just to spite the German taxpayer.
3)    It won’t do anything (see 5)
4)    Bubble!!!
5)    It will do terrible things (see 3)
6)  Forward guidance means free liquidity forever and ever and you don’t want that because, well, Zimbabwe.

And Michael Heise is not alone. This week's reactions in Germany after Draghi's announcement that the ECB will increase its balance sheet through direct purchases of ABS and Bank covered bonds are really disturbing.