jeudi 13 février 2014

Fiscalité des entreprises : travail ou capital?

A la lecture de cet article du Point on se prend à penser que les différences entre l'imposition du travail et  l'imposition du capital confondent encore beaucoup de nos amis journalistes, incapables donc de faire leur métier correctement. Sans compter que ce dont s'indigne le journaliste avec les 130% de taxation, c'est qu'un rentier ayant plus de 10 000 000 d'euros  de fortune (pour avoir un taux marginal d'ISF à 1.5% c'est nécesssaire) ne puisse pas vivre de ses rentes en se contentant d'investir l'intégralité de sa fortune dans des obligations d'Etat, sans investir dans des entreprises, et sans passer par des produits d'épargne partiellement défiscalisés. Le pauvre. 


  • L'incidence fiscale, kessécé? 
Un impôt vient en général taxer une transaction ou un stock. Dans le premier cas, il s'agit tout simplement pour l'Etat de fixer deux prix différents, l'un pour le vendeur, l'autre pour l'acheteur, et d'empocher la différence. Ce problème très classique pousse à se demander, par rapport à la situation où l'impôt n'existe pas, qui du vendeur et de l'acheteur paie réellement l'impôt, et dans quelles proportions. Ce problème a une réponse très simple : 

Sans impôt, le prix et la quantité échangée sont P0 et Q0. Avec l'impôt, le consommateur payant Pc et le producteur touchant Pp, la quantité échangée permettant d'égaliser offre et demande à ces deux prix est Qt, plus faible que Q0. Il y a donc une baisse des volumes échangés. La différence Pc - Pp est le montant de la taxe par unité échangée. L'aire du rectangle (Pc - Pp) x Qt est le montant total de l'impôt perçu par l'Etat. Ici, sur le graphique, par rapport à la situation sans impôt où le prix d'échange aurait été P0, les consommateurs paient (Pc - P0) x Qt d'impôt et les producteurs (P0 - Pp) x Qt, ici chacun la moitié du rectangle total. 

La proportion de l'impôt total varie avec les pentes relatives des courbes d'offre et de demande. Si l'offre est dite "inélastique", c'est-à-dire que le producteur est peu sensible au prix auquel il vend son produit par rapport au consommateur, c'est lui qui paiera la majeure partie de l'impôt. 



Inversement, si c'est le consommateur qui est peu sensible au prix d'achat, c'est lui qui paiera la majeure partie de l'impôt. 




Donc toute conversation sur l'impôt qui ne commence pas par se poser la question de qui paie réellement l'impôt, et se contente de qui le décaisse officiellement est une conversation n'ayant aucune chance d'être pertinente. Par exemple, la séparation entre salarié et employeur des cotisations sociales est parfaitement arbitraire, les deux sont une taxe sur la transaction "travail", où le salarié est producteur et l'employeur est consommateur de travail. Chacun a son élasticité-prix, et toutes les taxes assises sur cette transaction seront payées avec la même proportion, déterminée par le rapport des élasticités-prix, peu importe comment on a décidé de les appeler. 

Les Ecopublix ont fait un article sur le sujet il y a quelques temps (lien) et laissent penser que les cotisations sociales sont en réalité payée en grande partie par les salariés. A l'appui de cette thèse, le fait que le poids des salaires totaux (net + cotisations salariales et patronales) dans le partage de la valeur ajoutée est restée remarquablement stable au cours du temps alors même que les cotisations ont considérablement augmenté. Donc la part finale des salaires nets a baissé, et ce sont les salariés qui ont absorbé les hausses de cotisation. 

Bien évidemment, c'est une moyenne macro, tous secteurs confondus, et dans certains secteurs les salariés n'ont pas le même pouvoir de négociation que dans d'autres (employés peu qualifiés), ou bien les employeurs sont plus enclins à rogner leur marge pour faire tourner leur affaire (PME) et donc l'incidence fiscale n'est pas la même. Réduire les cotisations sociales sur les PME aide probablement ces producteurs, réduire les cotisations sociales dans la banque aide probablement les traders. 

  • Du coup, pourquoi qu'on dit que y'a des impôts sur le capital et des impôts sur le travail? 
Parce que c'est pas facile de savoir qui paie quoi effectivement, donc on identifie chaque impôt à son assiette. Chacun des impôts sur l'activité économique a sa propre assiette, et selon les secteurs, des élasticités de l'offre et de la demande qui varient considérablement. Faisons un petit tour d'horizon. 

Impôts sur le travail : On peut regrouper ici tous les impôts sur les salaires payés par les entreprises (qu'on ne voit pas sur nos fiches de paie), dont la taxe à 75% par exemple, les cotisations sociales employeurs et employés, et l'impôt sur le revenu des personnes physiques, partie revenu du travail. Tous ces impôts portent sur la transaction "travail" produit par le salarié et acheté par l'employeur. Ces impôts représentent environ 23% du PIB. 

Impôts sur la production hors taxe sur les salaires : L'assiette est en général le capital productif de l'entreprise (taxe foncière etc...) donc interviennent avant que que l'entreprise ne fasse des bénéfices. Ils représentent 3% du PIB. 

Impôts sur les produits et la consommation : TVA, TIPP, etc... Environ 11% du PIB

Impôts sur les revenus du capital : les prélèvements sociaux sur les revenus du capital, la part intégrable aux impôts sur le revenu, l'ISF (en première approximation, sauf que le taux n'est pas déterminé par les revenus du capital mais le stock de capital), l'impôt sur les sociétés. Ils représentent 9% du PIB. 

Chaque entreprise est donc la rencontre d'un consommateur, d'un capitaliste et d'un employé. Chacun de ces impôts va impacter ces trois personnes différemment selon leur élasticité. 

Exemple 1 : Une start-up high tech se finance à moitié à l'international, à moitié en en France, embauche des salariés extrêmement qualifiés et vend un produit unique pour lequel les consommateurs (d'autres entreprises ou des ménages) sont prêts à payer le prix fort. 
Le capitaliste international négociera ses dividendes sur la base de ce qu'il pourra obtenir dans le pays d'à côté, il fera donc en sorte que le résultat après IS de l'entreprise soit maximal.
Le capitaliste français n'a pas trop le choix puisqu'il paiera l'impôt sur ses revenus du capital quoiqu'il arrive, qu'il investisse en France ou à l'étranger.
Le salarié pourra négocier son salaire net, puisqu'il est extrêmement mobile.
Le consommateur paiera le prix final et est très peu sensible à son niveau.  
On voit ici que les deux personnes extrêmement élastiques au prix sont le capitaliste international et le salarié. Ils ne paieront aucun des impôts mentionnés ci-dessus, tout sera reporté sur le prix de vente et/ou la rémunération du capitaliste français. Comme le consommateur semble a priori beaucoup plus inélastique au prix que le capitaliste français, celui-ci arrivera à reporter sur lui la majeure partie des du total des impôts. Dans cet exemple, le prix de vente au consommateur inclura donc la quasi-totalité de tous les impôts, depuis l'impôt sur le revenu du salarié jusqu'à l'ISF du capitaliste français. 

Exemple 2 : Un restaurant bas de gamme appartenant à son gérant, embauche des serveurs et cuisiniers peu qualifiés au SMIC et vend à des consommateurs attentifs au prix, qui peut choisir de manger chez lui si les prix augmentent trop. Ici, on voit bien que le gérant est coincé entre le salarié rémunéré au SMIC (il ne peut pas baisser son salaire) et le consommateur radin. Il paiera donc la plupart des cotisations sociales, taxes sur les salaires, impôts en capital, TVA. L'impôt sur le revenu sera payé par le salarié en revanche, puisque le SMIC n'est pas déterminé à partir du super-net mais du net. 

Exemple 3 : Une grande entreprise française se finance entièrement à l'international, vend des voitures sur lesquels la concurrence est rude et emploie des ouvriers dans une usine, et des cadres au siège. Comme dans l'exemple 1, l'offre de capital du capitaliste international est totalement élastique, donc il ne paiera aucun impôt. Les cadres ont un pouvoir de négociation légèrement supérieur aux ouvriers, les impôts pèseront moins sur eux que sur les ouvriers. Si le consommateur n'a pas vraiment besoin de voiture, sa demande sera assez élastique au prix et au final, tous les impôts, y compris l'impôt sur les sociétés, seront payés par les salariés, majoritairement les ouvriers. Si le consommateur a besoin d'une voiture, mais qu'il peut toujours acheter une voiture fabriquée à l'étranger où les impôts sur les salaires et le capital sont plus faibles, il paiera une partie de la TVA mais ne paiera qu'une fraction des impôts sur le salaire et le capital français, qui seront donc absorbées par les ouvriers. 

Au final, on voit bien que c'est difficile de considérer que baisser les cotisations sociales ou l'impôt sur les sociétés est nécessairement un "cadeau aux entreprises", ou qu'augmenter la TVA est nécessairement "mauvais pour le consommateur". Comme la plupart du temps ce sont les plus défavorisés qui sont les moins élastiques (puisqu'ils doivent travailler et acheter les produits de première nécessité pour survivre), c'est souvent sur eux que pèse une bonne partie des impôts. Donc alléger ces impôts leur profite aussi. 

La taxation progressive reste possible, à condition qu'elle soit assise sur des transactions dans lesquelles les ménages les plus favorisés ont une offre très peu élastique. Taxer le travail des plus riches est efficace si ces riches ne quittent pas le territoire (ce qui ne semble pas être le cas), puisque cela n'impacte pas trop leur pouvoir de négociation auprès de leur employeur : même s'ils changent d'employeur, ils devront payer la taxe. Taxer les revenus du capital là où ils sont effectivement perçu plutôt que là où ils sont générés relève de la même logique, car le capitaliste est moins mobile que son argent, qui peut partir à l'étranger très facilement tandis que le capitaliste peut être avoir des attaches (comme un travail ou une famille par exemple). Il est donc préférable de taxer les revenus du capital auprès du ménage les percevant que via l'IS auprès de l'entreprise les générant. Le reste relève de la lutte contre la fraude fiscale ou de l'abus de biens sociaux. 

Tant que les études sur le poids de la taxation ne tiendront pas compte de l'incidence fiscale, il est mieux de ne pas les lire, et encore moins les articles en parlant. 











1 commentaire:

  1. C'est vraiment une grande confusion que les journalistes ont fait. En plus, cela induit les citoyens en erreur, ce qui est très néfaste pour l'économie et la confiance du peuple au gouvernement.

    RépondreSupprimer