jeudi 13 février 2014

L'importance de la macroéconomie en finances publiques (Partie I) : L'output gap

Pourquoi les statistiques et les modèles économiques sont-ils importants en finances publiques? On pourrait s'imaginer qu'il ne s'agit que de comptabilité, comme pour une entreprise, et que pour réduire le déficit il suffit d'augmenter les recettes ou de réduire les dépenses. 

Ce n'est pas le cas car imaginez une entreprise dont les salariés sont les clients. Si cette entreprise licencie ses salariés, ses clients perdent en pouvoir d'achat et ses ventes baissent, peut-être autant voire plus que l'économie qu'elle a réalisée sur sa masse salariale. Pour un pays, c'est exactement ce qu'il se passe. 

Les spécialistes de finances publiques en ont conscience, et c'est pour cela qu'ils essaient d'estimer un certain nombre de paramètres qui vont les aider à mieux piloter les trajectoires de déficit. Dans ce post, je place une séparation totale entre les débats sur le niveau des dépenses et recettes publiques, qui relèvent selon moi en majeure partie de choix politiques, et les débats sur le solde budgétaire, qui n'est que la différence de l'un et de l'autre. Ce qui va suivre est valable autant dans un pays très libéral que dans un pays très social, seule la trajectoire du déficit compte. 

Quels sont ces paramètres d'importance? Le premier est l'Output Gap, soit l'écart entre le PIB et son potentiel. Le deuxième est le multiplicateur de finances publiques, c'est-à-dire l'effet d'une augmentation de 1€ de déficit public sur le PIB. Le troisième est l'élasticité du solde budgétaire au PIB, soit l'effet d'une augmentation de 1€ du PIB sur le déficit public. 

Ces trois paramètres sont difficiles à estimer, et néanmoins leur importance est primordiale.

  • L'output gap et le PIB potentiel
Le PIB potentiel représente ce que le pays serait capable de produire si toutes les ressources productives du pays étaient utilisées. On peut le calculer de plusieurs manières, l'une, par filtrage statistique, consistant à regarder la série de PIB sur une période donnée, identifier des cycles de variations se répétant et isoler une tendance qu'on appellera potentiel. La deuxième, dite structurelle, consiste à faire la somme de tous les facteurs de production du pays : capital productif (usines, machines...), travail (population active moins chômage frictionnel), multipliés par leurs productivités (de chacun des facteurs et totale).

La deuxième méthode est en général préférée à la première car elle est moins sensible aux dernières variations : quand le PIB chute fortement une année, le filtre ne sait pas fait la différence entre ce qui est cyclique et structurel, il doit attendre que le cycle soit terminé pour en extraire la tendance. 

Le PIB potentiel a son importance, car lorsque l'économie est proche de son potentiel, cela signifie que les ressources productives du pays sont presque entièrement utilisées, et qu'il est illusoire d'espérer relancer la croissance via une hausse du déficit public: les ressources productives évoluant lentement d'une année sur l'autre (via la démographie et l'accumulation du capital), la production changera peu et l'Etat se retrouvera en concurrence avec les autres agents de l'économie pour l'achat de biens et services, dont le prix augmentera. C'est pourquoi l'on dit une relance budgétaire est inflationniste si le PIB est à son potentiel. Si la Banque Centrale a pour mandat de limiter l'inflation, elle le fera via une hausse des taux d'intérêts, et plutôt que d'être inflationniste la relance budgétaire réduira les investissements, et on aura toujours 
PIB = Consommation + Investissement + Consommation publique + Balance commerciale. 
 =                 =                        --                               ++                               =


Beaucoup de points autour du PIB potentiel font débat parmi les économistes. Le premier étant sur la possibilité pour le PIB d'être plus élevé que son potentiel. En théorie ce n'est pas possible puisque les ressources ne peuvent pas produire plus que ce qu'elles peuvent produire, donc si l'output gap est positif, cela est dû à un problème de mesure du potentiel : avec la méthode par filtrage, l'output gap est nécessairement de moyenne nulle, donc la moitié du temps l'output gap est positif. Avec la méthode structurelle, si l'output gap est positif, cela peut venir d'une mauvaise estimation de la productivité. Quoiqu'il en soit, si le concept de l'output gap est toujours négatif, les estimations actuelles de l'output gap permettent de raisonner en variation d'une année sur l'autre. 



Un bon moyen aussi de savoir si l'on s'approche du potentiel est de regarder l'impact d'une augmentation du déficit sur l'inflation, à politique monétaire inchangée. Si l'inflation n'accélère pas suite à l'augmentation du déficit, il y a de fortes chances que l'output gap soit négatif, comme ce fut le cas en 2009 au moment de la crise, et que les déficits publics ont très fortement augmenté sans produire d'inflation, alors même que les Banques Centrales baissaient les taux. 



Un deuxième point faisant débat est sur la tendance "naturelle" de l'économie à revenir à son potentiel. Cela est sous-jacent dans beaucoup de modèles économiques, c'est pourquoi la plupart des prévisions de long-terme des institutions comme la Commission Européenne ou le FMI projettent des output gap nuls au bout d'un moment. Ce point n'est pas acquis, il est possible que suite à une crise suffisamment importante et sans choc positif, l'économie s'engage dans une spirale destructrice se renforçant. C'est la théorie de la déflation par la dette de Fisher : les agents cherchent à épargner pour rembourser leur dette, ce qui réduit la demande, contracte les salaires et les prix, crée de la déflation, qui rend la dette des agents plus importante en termes réels, etc... Pour interrompre cette spirale, il faut un effacer les dettes, ou avoir une politique monétaire fortement expansioniste, ou compenser la baisse de la demande par une hausse du déficit, ou un peu des trois. Il est également possible, et même probable, que lors de récessions prolongées la sous-utilisation des ressources conduit à une baisse de leur productivité (chômage de longue durée, perte de compétence, capital non entretenu...). Ce sont les effets d'hystérèse évoqués par Blanchard, l'actuel chef économiste du FMI, dans les années 1980. 



Les modèles de croissance, comme celui de Solow, ou ceux utilisés aujourd'hui par les économistes du développement, ont pour but d'étudier les facteurs contribuant à la croissance de long-terme, c'est-à-dire la croissance du PIB potentiel. Cela passe en général par l'accumulation du capital et l'augmentation de la productivité. Ces modèles très raffinés montrent qu'il existe des taux d'accumulation du capital optimaux (plus n'est pas toujours mieux), que la productivité augmente avec la technologie, l'éducation etc..., mais que ce sont en général des évolutions de fond qui ne concernent pas l'économiste s'intéressant aux fluctuations conjoncturelles. C'était du moins le point de vue de Keynes, avant la naissance de ces théories de la croissance, et sans savoir l'importance qu'elles allaient prendre, dans une phrase encore aujourd'hui très mal interprétée : "The long run is a misleading guide to current affairs. In the long run we are all dead. Economists set themselves too easy, too useless a task if in tempestuous seasons they can only tell us that when the storm is past the ocean is flat again."



La question de l'output gap est importante, car de lui dépend le multiplicateur et la capacité pour une politique budgétaire expansionniste de relancer effectivement. Si une baisse du PIB est à tort interprétée comme un choc de demande pur à potentiel inchangé, les politiques de relance seront fortement inflationnistes et sans effet sur la croissance. C'est en partie ce qu'il s'est passé dans les années 70. A l'inverse, si une baisse du PIB est à tort interprétée comme une baisse du potentiel, un choc d'offre, ne rien faire pour relancer la croissance risque d'ancrer le nouveau niveau du PIB comme un nouveau potentiel, plus bas, alors qu'il aurait été possible de réduire le chômage en relançant. Le débat actuel sur la productivité anglaise ayant fortement chuté depuis la crise essaie de trancher cette question pour le Royaume-Uni. La Commission Européenne a également récemment fait son mea culpa et révisé ses premières estimations de l'output gap, initialement trop faibles, qui ont servi à justifier la nécessité des politiques d'austérité. 








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