vendredi 19 septembre 2014

I'm an Alexandre Delaigue wannabe

Après un excellent exposé du hiatus entre le consensus économique et la politique européenne, Alexandre Delaigue frappe encore en expliquant pourquoi la politique économique de la France est ce qu'elle est depuis 2009, indépendamment de la couleur politique du Président. Comme je suis jaloux, je reproduis ici les deux articles. C'est complètement inutile puisque mes rares lecteurs sont probablement tous abonnés au blog d'Alexandre, mais c'est un moyen de marquer mon adhésion totale à ses propos. 

Ses articles ne traduisent pas une volonté de blâmer l'Europe pour tous nos maux, ni d'absoudre le gouvernement de toute responsabilité. Je les vois plutôt comme un encouragement à s'intéresser à la politique européenne, et d'arrêter d'y envoyer les déchets de la scène nationale : si les commissaires et députés européens sont incompétents, la politique européenne est catastrophique. La dernière commission Juncker semble être une évolution, du moins pour les commissaires nommés par les autres États Membres. Alexandre fait aussi passer le message qu'il ne faut rien espérer d'une alternance politique purement franco-française, et que le saut dans l'inconnu proposé par Marine Le Pen ressemble beaucoup à un suicide collectif. 


La politique économique pour les nuls
Supposons qu'en 2006, avant le début de la crise financière, vous ayez eu envie de savoir ce qu'il faut faire pour la croissance et l'emploi, en cas de crise économique. Vous savez que l'économie n'est certainement pas une science exacte, qu'il y a dans ce domaine des débats parfois virulents. Mais ce n'était pas le cas à l'époque, marquée par un assez large consensus sur le sujet. Vous auriez donc regardé un manuel, ou un cours de base, destiné aux étudiants débutants, pour savoir ce qui constitue l'opinion standard des économistes. Voici ce que vous auriez trouvé :
- Le meilleur instrument en cas de crise économique, ou d'inflation, est la politique monétaire de la banque centrale. Fondamentalement, les récessions s'expliquent par un manque de monnaie dans l'économie. Les problèmes de politique monétaire (en particulier les contraintes liées à l'étalon-or) expliquent l'essentiel de la crise des années 30. L'inflation est aussi un phénomène qui peut être combattu par la politique monétaire.
- La politique budgétaire (essayer de réguler l'activité par la dépense publique ou la fiscalité) ne sert pas à grand chose à cause du point précédent. Dès lors que la banque centrale a décidé de ce qui lui semblait être un objectif, elle peut contrebalancer l'essentiel des actions du gouvernement. Si celui-ci augmente son déficit pour élever la croissance à court terme, la banque centrale augmentera les taux d'intérêt et le gouvernement aura agi en pure perte. On pourrait ajouter que les délais et le mode d'action du gouvernement (un plan de relance doit être voté, mis en place, risque de donner lieu à des marchandages électoraux sordides) en font un instrument peu commode.
- Ces politiques permettent, si elles sont menées à bon escient, de faire en sorte que l'économie produise à son potentiel, c'est à dire, au plein emploi étant données ses structures (infrastructures, niveau d'éducation de la population, système réglementaire, etc). Si l'on veut élever le potentiel de croissance à long terme des économies, il faut modifier ces structures -  c'est ce qu'on appelle dans le jargon d'économiste des "réformes structurelles". il est en pratique bien difficile d'identifier ce que sont des réformes structurelles efficaces. Certaines mesures faisaient à l'époqueconsensus (pour les pays en développement) mais avec des résultats franchement mitigés. De manière générale, il n'y a pas grand chose que les gouvernements puissent faire pour élever la croissance à long terme.
Le débat japonais et la crise financière
Si vous aviez eu envie d'approfondir le sujet, vous auriez constaté que la situation de l'économie japonaise, à l'époque, donnait lieu à de nombreux débats. Se posait en particulier la question de ce que l'on peut faire lorsque la banque centrale n'a "plus de munitions", c'est à dire, qu'elle ne peut plus baisser les taux d'intérêt parce qu'ils sont à zéro. Il se passe en effet des choses étranges lorsque les taux d'intérêt sont à zéro, et la banque centrale a du mal à agir. A ce point, deux thèses étaient présentes. Pour les uns (comme le futur président de la Fed Ben Bernanke), la politique monétaire était encore possible, à condition de recourir à des moyens non conventionnels. Pour d'autres, la politique monétaire était rendue trop impotente par des taux voisins de zéro, ouvrant la nécessité de mener, en parallèle, une politique budgétaire active.
Ce débat n'était pas tranché - les débats économiques ne le sont jamais. On pourrait dire aussi que les économistes se trompent tellement souvent que se préoccuper de ce qu'ils racontent n'est pas très utile.
Mais lorsque la crise est survenue, De nombreux pays ont appliqué le manuel de base des économistes. Certes, cela n'a pas été de soi : la réalité est toujours plus compliquée que les modèles des économistes. Mais dans l'ensemble, la réaction à la crise a correspondu à ce que prévoyaient les manuels, avec les résultats prévus par ceux-ci. Un plan de relance budgétaire aux USA, une politique monétaire expansionniste puis non conventionnelle, menée par Ben Bernanke. Certains économistes lui reprochent de ne pas en avoir fait assez, d'autres auraient voulu un plan de relance budgétaire plus ambitieux (un débat qui reproduit le débat autour du Japon). En Grande Bretagne, la banque centrale a mené une politique expansionniste pour contrebalancer en même temps l'effet du plan d'austérité budgétaire du gouvernement Cameron, sans totalement y parvenir; là encore, c'est ce qu'un manuel d'économie de base aurait prédit.
En somme, l'économie de base ne se sort pas si mal de la crise. D'ailleurs, si vous cherchez un livre de vulgarisation à succès des questions macroéconomiques récent, vous n'y trouverez rien qui aurait choqué un lecteur de manuel d'il y a 10 ans.
L'exception européenne
Mais il y a une région totalement rétive à ce consensus : c'est l'union européenne. Comme le constate l'éditorialiste Wolfgang Munchau, il y a deux principales tribus d'économistes en Europe : Les "fiscalistes" qui prônent une politique budgétaire active; et il y a surtout les "structuralistes" qui constituent l'essentiel des conseillers gouvernementaux, pour lesquels la politique budgétaire ne peut qu'élever la dette publique, et la politique monétaire être inflationniste : seules comptent pour accroître la croissance les "réformes structurelles" consistant à flexibiliser le marché du travail. Et il n'y a pour ainsi dire aucun "monétariste" qui ferait de la politique monétaire l'instrument essentiel de la régulation macroéconomique.
En France, on aura de la peine à trouver un économiste accordant de l'importance à la politique monétaire. Même les plus éloignés du consensus, qui préconisent de sortir de l'euro, le font en se focalisant sur le taux de change (vieille obsession française) et les dévaluations. Après les annonces de la BCE, vous entendrez le plus souvent comme commentaire : "ce que fait la BCE c'est très bien, mais l'essentiel est  - de mener un grand plan de relance budgétaire et d'arrêter l'austérité budgétaire - de faire des réformes structurelles du marché du travail". Vous entendrez discuter de réformes. De formation de la main d'oeuvre, etc. Vous aurez bien du mal à trouver des analyses fines de la politique monétaire européenne, ou vous devrez aller dans le monde anglo-saxon. Et vous verrez couramment desanalyses monétaires du niveau d'un élève de troisième écrites par des gens très sérieux (au cas ou, voir ce rappel).
Et cette négligence a des conséquences. Ce n'est que depuis que la BCE a avec Mario Draghi un président qui connaît bien ces questions conjoncturelles, parce qu'il a fait ses études au MIT lorsque s'élaborait le consensus actuel, que la situation a commencé à s'améliorer. Sa politique récente revient à faire avec retard ce que les anciens condisciples de Draghi (King en Angleterre, Bernanke aux USA) ont fait il y a 5 ans. Il y a de bonnes raisons de penser que la BCE, a cause de sa construction institutionnelle très particulière, ne peut pas agir aussi facilement que la Fed ou la Banque d'Angleterre; Mais le temps perdu est considérable. L'étrangeté européenne, au regard du consensus économique, est très coûteuse.


C'est entendu : personne n'aime la politique économique du gouvernement. Le président est moins populaire que l'armée Islamique en Irak. Le gouvernement passe son temps à prendre des engagements qui sontviolés à peine l'encre sèche. Il fautchanger de politique!

Ce mécontentement perpétuel se heurte pourtant à deux écueils. Premièrement, bien qu'en ruine perpétuelle, la Francene se sort pas si mal de la crise. Mais aussi et surtout, parce qu'il est beaucoup plus facile de déplorer dans le vague les politiques du moment que de proposer des alternatives réalisables, à l'efficacité plus certaine.
Imaginons que le gouvernement souhaite éviter la déroute en 2017 élever la croissance et réduire le chômage rapidement. Que devrait-il faire?
Les limites de la politique budgétaire
Croissance faible, chômage élevé; les recommandations des économistes, sont alors d'utiliser les instruments classiques, la politique monétaire ou la politique budgétaire, et à plus long terme des réformes structurelles. La question est alors de savoir à quelle échelle ces politiques sont pertinentes. La monnaie unique empêche de mener une politique monétaire à l'échelle française.
Mais les possibilités sont aussi très limitées pour la politique budgétaire. Et pas seulement en raison des traités européens, qui sont facilement contournables Supposons en effet que le gouvernement français décide de mener un vaste plan de relance en envoyant promener l'austérité germanique. Si cela est fait sans concertation avec les autres pays européens, plusieurs facteurs risqueraient d'en diminuer l'efficacité.
- Une réaction des marchés financiers, redoutant de voir le retour de la zizanie en Europe. Cela ferait augmenter le coût du financement de la dette publique au moment précis ou celle-ci augmente, limitant la capacité du gouvernement à recourir au déficit.
- Une réaction de la Banque Centrale européenne. Si celle-ci s'oppose à la politique budgétaire française, elle a des moyens très efficaces pour la torpiller, qu'elle a utilisés avec succès contre l'Irlande, l'Espagne et l'Italie.
- Si l'on en croit Christopher Sims, l'efficacité de la politique budgétaire dans un pays déjà très endetté est limitée par la réaction des ménages, qui redoutent que la dette publique accrue ne préfigure plus d'austérité à venir. Un très grand nombre de français craignent pour leur retraite à venir (probablement à juste titre); les dirigeants d'entreprises redoutent aussi une pression fiscale future plus élevée, et redouteraient l'incertitude générée par un conflit entre la France et les autres pays européens. L'ampleur exacte de ce phénomène est difficile à mesurer, mais cela viendrait limiter un peu plus l'efficacité de la relance.
- la réaction des autres pays européens : si ceux-ci continuent leurs politiques d'austérité et de réduction des salaires en même temps que la France relance sa demande interne, leur compétitivité accrue fera que la relance française leur bénéficiera plus qu'à l'économie française.
Le mythe des réformes structurelles
L'autre domaine dans lequel le gouvernement français pourrait agir, à en croire les conseilleurs, c'est par des "réformes structurelles" dont le contenu est bien flou. Et pour cause: Il n'y a pas de consensus parmi les économistes sur les réformes réellement efficaces, à l'exception de quelques généralités floues : améliorer le système éducatif, augmenter la concurrence sur les marchés, limiter l'inefficacité du système fiscal, flexibiliser le marché du travail.
Lorsqu'on entre dans le détail, néanmoins, plusieurs problèmes apparaissent. Premièrement, le coût de ces réformes, pour être efficaces, est élevé. Coût politique d'abord : les niches fiscales et les monopoles sont âprement défendus par leurs bénéficiaires. Mais un coût financier également: il faut bien souvent payer cher pour réformer. Face à ces coûts et la capacité d'influence des lobbys professionnels, les réformes initialement ambitieuses sont rapidement vidées de leur substance lorsqu'elles sont converties en lois. Et peuvent au bout du compte laisser la situation pire qu'avant.
De plus, souvent, ces réformes conduisent à échanger des coûts immédiats et certains contre des gains futurs hypothétiques. Et ces gains dépendent de la conjoncture future. Par exemple, flexibiliser le marché du travail aura pour effet d'augmenter les embauches si l'activité est forte; mais cela provoquera plus de licenciements si l'économie reste déprimée. De la même façon, cela serait peut-être appréciable pour les français d'acheter leur aspirine dans un supermarché ouvert le dimanche; mais le gain que cela générerait serait dérisoire, si tant est qu'il existe.
Enfin, les réformes structurelles nécessitent aussi un degré minimal de concertation en Europe. Les réformes allemandes du début des années 2000 ont indirectement causé la crise de la zone euro, en créant des déséquilibres majeurs avec les pays du Sud.
Coût potentiel élevé, avantages potentiels lointains et aléatoires; Pas étonnant que les reculs soient nombreux. Le rapport Armand-Rueff préconisait de réformer les professions réglementées en 1960; la reculade du gouvernement n'est ni la première ni la dernière.
Desserrer la contrainte européenne, ou faire le bon élève?
Si réellement la contrainte européenne est si forte, pourquoi ne pas la réduire? Une première stratégie pourrait être de menacer de quitter la zone euro pour obtenir des changements de politiques; voire carrément, de quitter celle-ci. Ce genre de choix pourrait apporter quelques avantages (mais assez limités - on ne peut pas dire que la politique économique française était menée de manière mirobolante avant la contrainte de l'euro, et les dirigeants français ne deviendraient pas magiquement meilleurs) ou un effondrement majeur. En tous les cas, cela ouvrirait une période de très forte incertitude. Ce genre de situation, même lorsqu'elle ne se passe pas trop mal au bout du compte, comme lors de la séparation tchécoslovaque, est très volatile et peut facilement basculer.
Il est très peu probable que les français aient envie de ce genre de saut dans l'inconnu; L'électeur moyen a plus de 50 ans, pas un âge ou l'on fait un saut dans l'inconnu. Même la Grèce, dans une situation bien pire, n'a pas fait le pas de sortir de l'euro ou de menacer d'en sortir. On voit mal la France le faire - et les perspectives dans ce cas seraient extrêmement aléatoires, avec beaucoup plus de possibilités négatives que positives.
Dès lors qu'on a rejeté la possibilité d'une sortie, reste la solution d'essayer d'orienter les politiques européennes dans le sens le plus favorable possible. Pour cela, le mieux est de faire le bon élève, laissant les coudées franches à la BCE. Son président a esquissé ce qui constitue une politique qui soutient l'activité, en coordination avec son action.
Peut mieux faire
Et c'est à cela que ressemble la politique du gouvernement. Vis à vis de l'extérieur, en faire juste assez pour espérer qu'en échange, les politiques européennes deviennent plus favorables à la croissance. Vis à vis de l'intérieur, ne pas en faire trop, pour éviter les mécontentements et d'avoir un effet négatif sur l'activité économique. Cela n'a rien de très enthousiasmant et ne satisfait vraiment personne : mais c'est la solution logique dès lors qu'on perçoit les contraintes que l'on rencontre. Et cela est fait parfois de manière adroite, comme lorsqu'on lie l'amélioration des finances publiques à l'évolution de l'inflation.
Mais trop souvent, l'action du gouvernement apparaît comme purement réactive et brouillonne. Il y aurait certainement possibilité de diminuer les dépenses publiques et les impôts d'un montant plus important.Cela soutiendrait l'activité et l'effet sur le déficit public serait acceptable, dans un contexte ou la dépense publique française est jugée (à tort ou à raison, ce n'est pas le sujet) trop élevée par les autres dirigeants européens.
Au lieu d'aller clairement dans cette direction, on assiste plutôt à un bricolage improvisé dans lequel on accumule des décisions de dépenses et d'impôts au gré des circonstances, dans le flou le plus total. Bien malin qui sait s'il paiera, l'an prochain, plus ou moins d'impôts que l'an dernier, entre les fluctuations de la TVA, des taxes sur les carburants, et de l'impôt sur le revenu (entre autres). Tout cela amoindrit l'effet de ces mesures.
Mais il ne faut pas se leurrer : étant données les circonstances, le gouvernement n'a pas beaucoup d'opportunités pour faire mieux.



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