lundi 29 septembre 2014

La croissance est-elle l'ennemie du climat? (Épisode 1)

Cet article du Monde tente très maladroitement de résumer une passe d’armes entre Paul Krugman, le Nobel d’économie éditorialiste au NY Times, et Richard Heinberg, du Post Carbon Institute, auteur notamment d’un livre intitulé « The End of Growth ».

Dans sa tribune, Krugman s’appuie sur deux études récentes, une du New Climate Economy Project (organisation prônant une croissance équilibrée dont les équipes de recherche sont partenaires de la London School of Economics, de l’université Tsinghua, de l’institut de l’environnement de Stockholm…) et une autre du Fonds Monétaire International, pour soutenir que la réduction des émissions de carbone ne se ferait pas nécessairement au détriment de la création de richesse car :

1)
   elle s'accompagnerait de bénéfices immédiats. Par exemple, la réduction d’émission de carbone réduirait les maladies respiratoires, donc réduirait les dépenses de santé et augmenterait la productivité.

2)  
   les sources alternatives d’énergie sont de plus en plus abordables, à tel point que ce serait un choc négatif d’offre quasi nul de remplacer une bonne partie de nos émissions de carbone par des énergies propres.

La logique économique derrière ceci étant que si on remplace une énergie par une autre plus chère, cela augmente les coûts de production et réduit le potentiel de l’économie : à prix de vente identique, une plus grande partie des coûts de production est dévolue au fournisseur d’énergie, au détriment de l’emploi ou des salaires, ce qui réduit le pouvoir d’achat, donc in fine la production, et l’équilibre de l’économie se déplace vers moins de production et moins de consommation. Si la marche n’est pas très haute, cela vaudrait donc le coût de la franchir. Partant de là, Krugman accuse les décroissants d’involontairement faire cause commune avec les climatosceptiques en acceptant le postulat que le climat s’oppose à la croissance. La différence étant bien sûr que les décroissants y voient un argument contre la croissance plutôt que contre le climat.

La réponse de Richard Heinberg est beaucoup moins polémique que ce que le Monde sous-entend. Tout d’abord, il commence par nuancer le propos de Krugman, en écrivant que celui-ci néglige un certains nombres de facteurs. Certes, les coûts liés aux énergies propres baissent rapidement et les bénéfices immédiats ne sont pas négligeables, mais les projections les plus optimistes montrent qu’il faudrait réduire considérablement les émissions de carbone dans les 15 prochaines années, et que nous n’avons plus le temps d’attendre que l’ajustement se fasse. Aussi, quand bien même la production d’électricité était entièrement solaire ou éolienne, il resterait encore les émissions de carbone liées aux moyens de transport, nécessaires au maintien du niveau de commerce international que nos économies spécialisées requièrent. Comme il le dit, l’avion, la voiture et le tractopelle électrique ne sont pas encore très répandus.

Je ne pense pas que Krugman se fasse l’avocat du marché. Dans sa tribune, il ne soutient pas qu’il n’est pas nécessaire de faire des efforts et que l’innovation technologique suffira à infléchir la trajectoire des émissions de carbone. Au vu de ses opinions concernant l’austérité en ces temps de crise économique, je suis même persuadé qu’il verrait d’un très bon œil un programme massif d’investissement public de l’ampleur proposée par des économistes de l’environnement comme Gaël Giraud (voir ici un résumé), financé par la collectivité. Au final, c’est à nous de décider comment on souhaite que notre économie fonctionne, et on peut préférer réaliser ces investissements vitaux mais peu rentables à court ou moyen terme, plutôt que laisser le marché décider la vitesse à laquelle ils sont réalisés. Pour cela, il suffit d’être convaincu par l’urgence du réchauffement climatique, et s’apercevoir qu’en période de crise, où l’investissement privé s’effondre et où la Banque Centrale ne parvient que difficilement à injecter des liquidités dans l’économie, maintenant est probablement le moment idéal pour agir sans générer d’inflation.

Je n’ai personnellement aucune expertise sur le degré de réduction d’émission nécessaire à une économie soutenable, je ne connais pas bien les technologies nouvelles et n’ai pas non plus la moindre idée de leur capacité à régler nos problèmes. Par conséquent, j’ai tendance à croire les scientifiques dont l’immense majorité tire la sonnette d’alarme et pense qu’il faut réduire drastiquement les émissions. En aval des physiciens et des ingénieurs, il y a des économistes qui évaluent la faisabilité des projets et leur coût pour la société. In fine, l’argument de la plupart des militants écologiques est que le coût financier quel qu’il soit est inférieur aux coûts humains et que l’abitrage est toujours en faveur du climat. L’argument de Krugman est que le coût financier baisse très rapidement, donc peu importe de quel côté de l’arbitrage on se situait hier, il y a de fortes chances qu’on soit du côté du climat aujourd’hui. Il n’est donc pas nécessaire de prôner un changement radical puisqu’en faisant cela on perd le soutien d’une partie de la population, qui certes très égoïstement ne souhaite pas changer radicalement de mode de vie. Krugman ne conteste pas le diagnostic mais critique la méthode.

La deuxième partie de ce post étudiera pourquoi les physiciens et les économistes ne se comprennent pas sur ce sujet, alors même que nombre d’entre eux sont d’accord et travaillent ensemble mais chacun à leur manière à concaincre le public de la nécessité de la transition écologique

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