mardi 29 avril 2014

Le spleen français

Pour compléter le post précédent : 

Si une entreprise française se fait racheter par une entreprise étrangère, cet argent peut servir à plusieurs choses : être réinvesti à l'étranger, ce qui ne change pas fondamentalement la position extérieure de la France, servir à accumuler du capital en France, ce qui est bon pour les perspectives de croissance en France, ou être dépensé en yachts et caviar, ce qui est probablement négligeable. La plupart des journalistes semblent perdus au milieu de tout cela. Il est vrai que les participations croisées sont légions, et brouillent considérablement les pistes : une position extérieure proche de zéro peut cacher de très grosses participations étrangères en France, compensées par de très grosses participations françaises à l'étranger. Mais  dans l'ensemble, il est plutôt rassurant que l'économie française soit un marché assez important pour que des entreprises étrangères veuillent y investir, surtout quand cet investissement est constructif. 

Le discours défaitiste sur le déclin industriel français utilisant le rachat d'Alstom comme exemple de ce déclin en dit long sur la psychologie nationale. En 2004, Alstom avait un gros problème de trésorerie et était menacé par la faillite. L'intervention de l'Etat a permis d'éviter cette faillite, qui aurait probablement donné lieu au démantèlement des activités d'Alstom. La politique industrielle de l'Etat peut consister à fournir des avances de trésorerie à des entreprises rentables qui traversent une crise passagère, se substituant ainsi aux banques et investisseurs privés. Le sauvetage de l'industrie automobile aux USA par l'administration Obama procède de la même logique. 

En 2014, Alstom semble en revanche perdre de l'argent dans un secteur pas forcément d'avenir, les centrales à charbon, et a besoin d'un partenariat dans des secteurs connexes afin de diversifier son activité. La filiale énergie d'Alstom étant petite comparativement à ses concurrentes, cela passe certainement par une alliance avec une entité plus grosse, à travers un rachat partiel par exemple. Et ça tombe bien, car l'actionnaire principal d'Alstom, Bouygues souhaite vendre sa participation pour financer l'achat d'une autre entreprise, SFR Numericable. C'est du business as usual, je ne comprends vraiment pas la dramatisation. 

Sur le rachat par General Electric en particulier, le consensus semble être que les synergies seraient meilleures et plus profitables aux employés d'Alstom dans le cas d'une fusion avec GE qu'avec Siemens : il y a plus de complémentarité, Alstom et GE n'ayant pas les mêmes clients. Si Siemens est intervenu ce serait justement pour empêcher la création d'un concurrent franco-américain. Si l'Etat est intervenu, c'est à cause de son côté mouche du coche. 

Enfin, la nationalité des actionnaires d'un groupe importe peu, aussi bien pour le groupe que pour ses employés, dans la mesure où les décisions d'investissement et de développement de l'activité se feront selon les mêmes critères de rentabilité. Si la filière énergie d'Alstom est rentable mais nécessite un partenariat pour se développer (notamment dans le gaz et l'éolien apparemment), et que ce partenariat est avec une compagnie étrangère, pourquoi pas? Le public français a été traumatisé par le rachat d'Arcelor par Mittal, mais la comparaison s'arrête là : contrairement à Alstom, l'activité européenne d'Arcelor n'était plus rentable, l'industrie lourde n'a pas vraiment sa place dans une économie développée comme la France, et ni les clients, ni les fournisseurs du secteur de l'acier ne sont très présents en Europe. La fermeture de certains aciéries était inéluctable, rachat par Mittal ou non. 

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