Ce (déjà ancien) post de Noah Smith sur la faune des commentateurs de blog économiques me donne envie de conduire un exercice similaire sur le monde des économistes (plutôt des personnalités présentées ou se présentant comme économistes) médiatiques français. Toute ressemblance avec des individus réels est parfaitement intentionnelle.
1) Le grand gourou
On ne le voit pas beaucoup à la télé, mais il est partout dans les mondes des affaires et de la politique. Il a en général fait de grandes études au cours desquelles il a eu quelques cours d'économie et appris à tracer l'intersection entre offre et demande. Il sait, ou plutôt il croit se souvenir de ses cours à l'ENA, que les taxes "créent de la distorsion", et comme il a fait ses classes dans les années 70/80, que "l'augmentation de la dépense publique crée de toujours de l'inflation mais pas de croissance". Il a également appris que la "mondialisation crée de la richesse", que "l'innovation est la seule source véritable de croissance", et "la concurrence réduit tous les maux", sans s'apercevoir qu'il peut parfois y avoir contradiction entre ces deux dernières affirmations.
Il s'est arrêté au niveau de la dernière année de licence d'économie, et il est de la pire engeance : celle qui réfléchit à partir d'outils désespérément basiques, et qui pense par son intelligence seule arriver à de meilleures conclusions que les autres. Il n'a pas la moindre idée de l'état du débat académique, qu'il estime de toute manière complètement déconnecté des considérations importantes pour ses clients chefs d'entreprises ou hommes politiques. Il conseille la même chose aux deux, pensant à tort qu'il faut toujours gérer l'Etat comme une entreprise. Il a parfois raison, souvent tort, mais il dit qu'il a une vision de long terme, ignorant que les solutions de long terme peuvent être contre-productives à court terme. Finalement, il n'apporte pas plus de sagesse que Madame Soleil, mais s'il est cynique il sait dire que son client a envie d'entendre, et lui fournir un argumentaire tout prêt.
Comme il est très intelligent, il écrit un livre par an depuis 20 ans; parfois sur l'économie pour rappeler les mêmes évidences en pensant être le seul à les dire ou pour répéter les mêmes erreurs mille fois démontées par la recherche; parfois sur de grands penseurs pour montrer qu'il est aussi un peu philosophe; et souvent un peu des deux, mêlant morale, pragmatisme, et pseudo-scientificité dans un gloubi-boulga infâme ne comprenant aucune recommandation de mesure politique ou économique faisant avancer le schmilblick.
2) L'essayiste décliniste
Abonné des colonnes de journaux ou magazines dont les lecteurs ont une moyenne d'âge supérieure à 60 ans, il a fait les mêmes études que le grand gourou, et ils écrivent parfois des livres ensemble : le gourou en tant que fin connaisseur du monde des affaires, et lui en tant que penseur. Il a lu Hayek et Von Mises, mais s'est arrêté là. Il a grandi dans la haine du communisme et considère que l'anti-libéralisme est ce qui a provoqué/provoque/provoquera la chute de la France. Il s'y connaît un peu mieux que le grand gourou, puisqu'il a parfois même appris des modèles économiques un peu plus sophistiqués, aux hypothèses complètement irréalistes mais qu'on fait souvent étudier en première année de master comme introduction aux modèles de la nouvelle synthèse, nettement plus récents et réellement utilisés pour essayer comprendre le monde qui nous entoure. Lui ne cherche pas à comprendre le monde qui l'entoure, il cherche à ce que le monde qui l'entoure ressemble à son modèle simpliste et philosophiquement cohérent, bâti autour de l'idée que si chacun cherche à maximiser son bonheur égoïstement sans contrainte extérieure on aboutira à un optimum social. Il ignore toutes les questions d'externalités, de biens public (sauf pour l'armée, la justice et la police), et de rationalité limitée. Il pense que si on les laisse faire, les français mettront assez d'argent de côté pour leur retraite et les entreprises récompenseront les méritants. Il écrit également un livre par an depuis 20 ans, en général pour expliquer à ses lecteurs qui ne demandent que ça que la France est en pleine déliquescence morale, facilitée par les largesses de l'Etat. Contrairement au grand gourou, il n'est pas confronté au monde réel, donc il n'a pas réellement besoin de mettre un peu à jour son logiciel. Il est moins écouté, mais beaucoup plus lu. Il gagne même parfois des prix littéraires.
3) Le charlatan
Autrefois jeune conjoncturiste dans une banque, ses supérieurs se sont bien vite aperçu de ses capacités cognitives limitées, inversement proportionnelles à son égo. Il a donc bien vite quitté la banque, certes poussé vers la sortie, pour créer son propre institut de conjoncture et d'analyse. Il écrit, en mauvais français, un article par jour pour expliquer pourquoi l'INSEE est formidable (quand il a vu juste), ou pourquoi l'INSEE est un ramassis de fonctionnaires vendus au gouvernement (quand il s'est planté). Il prévoit tout et n'importe quoi, son institut est composé de lui-même, un secrétaire, deux stagiaires, un compte twitter et un site internet, et il vend ses analyses à des patrons de PME un peu naïfs. Finalement, il a une certaine utilité, puisqu'il se contente parfois de vendre une revue de la presse anglo-saxonne (il lit le FT, le WSJ et The Economist) à ses clients qui n'en ont pas le temps. Mais en vieillissant, conforté par le fait qu'il a pu constituer une clientèle assez fidèle, il doute de moins en moins de ses compétences (si tant est que ce soit possible), et se met à mélanger sa propre analyse avec celle des autres, ce qui ne peut que la dégrader. Il n'est pas assez intelligent pour lire les grands auteurs, donc il lit l'essayiste décliniste et le grand gourou, et essaie désespérément de ressembler à ce dernier. Vous pouvez le trouver sur BFM-TV, puisqu'il est le seul à bien vouloir se déplacer tous les deux jours pour répéter la même chose pour les quelques téléspectateurs devant leur poste à 15h30, mais il est tricard de toutes les conférences économiques un peu sérieuses, tout le monde dans le métier sait que c'est un rigolo.
4) Le mauvais décroissant (c'est comme les chasseurs, y'en a des bons).
On quitte le milieu des mecs en costume pour rencontrer un type bien particulier de décroissant. Il est militant écologiste depuis longtemps mais pas seulement, il est aussi l'ennemi de la finance et des partis politiques traditionnels, qui sont selon lui complices dans la plus grande conspiration de l'histoire, celle favorisant la croissance. Pour lui, la croissance détruit la planète. Il ne sait pas trop ce qu'est la croissance d'ailleurs, mais c'est pas grave : il est un jour tombé sur un graphique montrant la corrélation entre émissions de CO2 et PIB, et ça a confirmé tout ce qu'il pensait de la société de consommation. La croissance, c'est plus de voitures, plus de frigos, plus de plastique, plus de porte-conteneurs, plus de gâchis, plus de déchet, plus de tout. Et il a un peu raison, c'est comme ça que ça s'est souvent fait malheureusement. Il pense qu'il faut donc tout arrêter, qu'on est tous bien assez riches et qu'on peut se contenter de moins. D'ailleurs, il bugue un peu quand il parle avec son copain économiste du développement, qui ne comprend pas pourquoi il faudrait limiter la croissance des pays pauvres. Il ne sait pas forcément que la croissance peut passer par non pas "plus de trucs" mais "des trucs de meilleure qualité", ou par les services. Quand on lui dit ça on est immédiatement considéré comme un ennemi de la cause.
Mais c'est comme ça que les écolos sont vus par beaucoup de gens pas nécessairement sensibles à la cause écologique, parce qu'ils ne sont pas de la même génération ou parce qu'ils ont d'autres problèmes bien plus immédiats, comme manger et payer leur loyer. Et l'existence du mauvais décroissant permet à ses détracteurs, motivés par leurs intérêts ou ceux de leurs financiers, de présenter à tort la transition écologique (permettant justement de réduire voire supprimer la corrélation positive entre croissance et émissions) comme un choix radical de mode de vie, coûtant extrêmement cher, que les gens ne sont pas prêts à accepter. En bref, il dessert la cause.
5) L'obscur
Lui n'a jamais étudié l'économie de sa vie, il a plutôt le profil ingénieur, comptable, ou pire, physicien. Mais il s'y met sur le tard et a l'impression que la discipline est décidément bien mal étudiée. Il commence en général par ouvrir un site web 1.0 très moche dans lequel il relève tout ce qu'il pense être une incohérence. Puis il s'amuse avec des identités comptables, comme Y = C+ I + G pour dire des choses inutiles comme : l'investissement égale l'épargne, donc si l'épargne augmente alors l'investissement augmente, sans savoir que réduire sa consommation pour épargner peut réduire le revenu et donc l'épargne, donc l'investissement. Il écrit des articles très longs (beaucoup plus long que ceux de ce blog, qui sont déjà très longs) pour développer son propre paradigme économique, dans son propre jargon, et que personne ne comprend. S'il lit parfois des œuvres d'économistes, ce sont toujours des hétérodoxes qui critiquent la rationalité, mais contrairement à eux, il fait de l'absence de rationalité complète le cœur de sa pensée, et pas une déviation par rapport à un modèle simplifié. C'est un peu comme si on essayait d'appliquer la relativité restreinte d'Einstein pour modéliser la chute d'un objet. D'ailleurs, s'il est physicien, il se met à considérer que si les économistes n'ont pas "résolu" le monde, c'est parce qu'ils sont trop nuls en maths. Il ne sait pas encore que les méthodes de calcul en physique (recherche de symétries, etc...) ne fonctionnent pas en économie, et il est soit complètement ignorant de la dimension psychologique de l'économie, soit lui accorde une importance centrale et part dans des considérations stratosphériques de théorie du chaos. Si vous lui demandez l'impact sur le revenu d'une hausse de la TVA, il est complètement paumé.
J'en conclus que le vrai économiste est le keynésien paternaliste qui pense que casser des vitres crée de la prospérité et qu'on peut multiplier des pains avec la dépense publique.
RépondreSupprimerExactement! Il n'y a que 6 types d'économistes, le sixième est le seul et unique.
RépondreSupprimerPlus sérieusement, je ne connais pas d'économiste public (français ou non) prônant ce genre de chose. Si vous en connaissez un, envoyez moi un lien vers sa page wiki et/ou ses écrits et je compléterai ma liste.
Alors
RépondreSupprimer- Jacques A.
- Franz-Olivier G.
- Marc F.
- Serge L.
- ... je sèche.
Marc F?
SupprimerFiorentino ? Non ? Zut, il correspondait bien au profil...
SupprimerPas bête. Mais je ne pense pas qu'il corresponde parfaitement, il délivre plutôt des conseils de placements et s'aventure assez rarement sur le terrain de la macroéconomie à proprement parler.
SupprimerJe pensais plutôt à un autre Marc, Marc T.
Haha je pense que le deuxième c'est plutôt monsieur N. Baverez qui officie néanmoins sur le même journale que Franz-Olivier G.
SupprimerSinon dans tes catégorie tu oublies le very serious economist qui intervient sur le plateau de C dans l'AIR. Il appelle généralement les politiques au courage, à faire des choix difficiles et des sacrifices pour redresser le pays, ce à l'aide "réformes structurelles". Si on lui demande de préciser son propos, il dira systématiquement qu'il faut revoir le mille feuille territorial.
La moitié des phrases qu'il prononce commence par: "Regarder en Allemagne"
Yep.
SupprimerLe post n'est pas terminé, une deuxième partie suivra ;)
1. Jacques Attali
Supprimer2. Nicolas Baverez
3. Charles Gave ? Olivier Delamarche ?
4. Serge Latouche
5. ...?
On serait pas entrain d'oublier Bernard M., dans le tas?
SupprimerJe ne suis pas sûr de savoir dans quelle case le ranger.
SupprimerJe ne connais pas bien ses travaux, mais de ce que je connais, si je n'aime pas son style journalistique, il ne dit pas vraiment n'importe quoi. Il a un petit côté prophète de malheur, ce qui est agaçant, c'est tout.
- L'économiste idéologue : informé mais au service d'Idées-Force, comme un certain JMD
RépondreSupprimerExcellent… Je note avec une certaine satisfaction que le faux économiste est un homme...
RépondreSupprimerAnne, je sais que vous avez pensé à moi en lisant cette page - c'est une grande satisfaction.
SupprimerPour le 5, on pense évidemment à S. Laborde :-)
RépondreSupprimerhttp://www.creationmonetaire.info/
(j'ai bon ?)
J'avais évidemment Marc T. après la lecture du 3. Par contre Marc F. fait lui aussi dans la prévision macro-fi bien imprégnée de nawak... (souvenons-nous de son analyse sur les FOAT au moment de la campagne des présidentielles...)
Etrange, pas un mot sur un certain autre type d'économistes rigolos écrivant des perles comme ceci ? :
RépondreSupprimerhttp://sites.google.com/site/duconoclaste/perles
L'auteur de ce site semble effectivement persuadé que les développements depuis 2011 contredisent les affirmations d'éconoclaste sur la dette publique française, mais je ne vois pas en quoi. Justement, les développements depuis 2011 ont entièrement donné raison à ces "perles" :
Supprimer1) L'obsession pour la dette publique a plongé la zone euro dans la récession en 2012 et 2013.
2) Cette obsession était parfaitement injustifiée pour la France, dans la mesure ou les taux n'ont jamais été aussi bas.
3) La crise européenne ne s'est pas déclenchée parce que les dettes étaient élevées, mais parce que ni la BCE, et les gouvernements de la zone euro, n'ont répondu comme il fallait à la crise Grecque. Ce sont eux qui ont fait de la dette un problème, en refusant d'un côté le financement par la politique monétaire, en poussant pour une austérité destructrice de l'autre.
Je ne parle même pas des erreurs grossières que commet duconoclaste. Je devrais faire une rubrique consacrée à ce genre d'élucubrateur, mais fort heureusement, même BFM TV ne les présente pas des économistes.
"Deux mille MILLIARDS de dette! Vous vous rendez compte? Ma bonne dame, où va le monde?"
Vous semblez persuadé que votre commentaire contredit "duconoclaste". Or, les développements depuis 2011 ou n'importe quelle date ont si peu donné raison à ces perles que nulle part Econoclaste ne prétend avoir eu raison. En fait, depuis 2009, ils ignorent soigneusement le sujet et regardent ailleurs en sifflotant avec insistance. Peut-être est-ce une preuve de leur modestie ?
Supprimer"Je ne parle même pas des erreurs grossières que commet duconoclaste"
En effet.
Rien n'a changé, une dette soutenable n'est pas un problème, et une dette est soutenable tant que
Supprimer1) La dette est libellée dans la monnaie du pays, et que le pays dispose d'une banque centrale autonome.
2) Les impôts levés suffisent à payer les intérêts de la dette.
Les éconoclastes ne disent ni plus ni moins. La révélation de la crise de l'euro fut que la BCE ne s'est pas comporté comme une banque centrale habituelle, mais comme la banque centrale de la France et l'Allemagne, sans tenir compte des taux d'intérêts réels en Espagne, Italie, Portugal et Grèce. Un peu comme la FED s'est comporté comme la banque centrale américaine, sans tenir compte des taux d'intérêts en Argentine, malgré le fait que l'Argentine avait un régime de change fixe avec les USA en 2000 et que l'Etat argentin était endetté en dollars.
La différence fondamentale étant que la Grèce n'a pas pu dévaluer e/ou faire défaut sur sa dette.