jeudi 10 avril 2014

Les retraites, la cigale et la fourmi.

Il y a plusieurs façons de parler retraite. La première est de peser le pour et le contre entre un système par capitalisation et un système par répartition. Dans le premier, les cotisations retraites sont capitalisées dans un fond, et investies, dans le deuxième les cotisations actuelles financent les retraites actuelles. L'avantage du système par capitalisation est qu'il permet à chacun de connaître son capital-retraite, ce qui a un effet psychologique rassurant, mais qu'il permet aussi l'émergence de fonds de pension, sources de liquidités dans l'économie (bien que cet avantage n'en soit pas forcément à l'âge de la stagnation séculaire (post), on y revient en fin de post). Son inconvénient est qu'en cas de crise ou de mauvais choix d'investissements, certains peuvent tout perdre. Le système par répartition est beaucoup moins risqué, l'incertitude est liée à la démographie et le risque est réparti entre tous. C'est pourquoi la plupart des pays occidentaux ont un système hybride, souvent un système public par répartition et un système privé par capitalisation. 


  • Redistribution et système par répartition


La deuxième façon est de considérer les deux types de systèmes par répartition et de parler de redistribution. Les systèmes dits "à points" (defined contributions en anglais), où les droits à la retraite sont directement proportionnels aux contributions. Ça a l'apparence d'un système par capitalisation, dans lequel on "épargne" une partie de son salaire sur un "compte" mais n'en est pas un. Le deuxième est le système dit "à prestation définie" (defined benefit) où il existe une règle de détermination de la retraite, et les cotisations de tout le monde sont ajustées de façon à financer le système. Si la retraite ne dépend pas du salaire, mais que les cotisations sont proportionnelles au salaire, ce système est fortement redistributif.

La France a adopté un système triplement hybride. Le système public, à répartition, est pour moitié environ un système à "prestation définie" via la CNAV, où les retraites sont quasi proportionnelles au salaire, sauf en-deçà d'un minimum, et pour moitié un système "à points", via les caisses Arrco-Agirc. 

Pour résumer, sur la partie du salaire inférieure au plafond de la sécurité sociale (37 000 annuel), les Français cotisent 15% à la CNAV et 8% à l'Arrco. Pour les 15% de Français gagnant plus que le plafond, la partie de leur salaire supérieure de à 37 000 et jusqu'à 300 000 sert d'assiette pour les cotisations à l'Agirc (20%). Le taux de cotisation baisse au delà du plafond car le taux Agirc n'est que de 20%, et une part de plus en importante de l'assiette est valorisée à ce taux. A tout cela s'ajoute un taux de 2% déplafonné, appliqué à l'ensemble des revenus. 

Au final, on cotise entre 22 et 25% de son salaire, l'Agirc prenant progressivement une place plus importante à partir de 37000 euros de revenus. 



Au passage, certains économistes, comme Thomas Piketty et Emmanuel Saez, critiquent le système de prélèvements français comme étant régressif au niveau des plus hauts revenus. 

Source : Piketty & Saez


Ils oublient néanmoins de mentionner que cette régressivité apparente provient en grande partie des cotisations sociales, et principalement des cotisations retraites, puisque si on prolonge le graphique des taux pour étudier ce qu'il se passe à l'intérieur du centile des ménages les plus aisés, on voit effectivement que les revenus dépassant 8 fois le plafond de la sécurité sociale (300 000) ne sont plus dans l'assiette de cotisation. Hors, les prestations de retraites sont quasi proportionnelles aux cotisations, donc il est un peu fallacieux d'inclure les cotisations sans inclure les retraites.





Pour ma part, je préfère voir les cotisations retraite comme une épargne forcée pour 23% d'entre elles, et comme des frais de gestion pour les 2% déplafonnés. Ces derniers ne donnant aucun droit supplémentaire, ils servent simplement à assurer l'équilibre financier du système. Si chacun devait épargner auprès de compagnies d'assurance ou de banques en prévision de sa retraite, on épargnerait probablement sensiblement le même montant, donc la majeure partie servirait à financer les retraites, et le reste serait la marge de la compagnie d'assurance ou de la banque, ici 2%. 


Il faut donc étudier la progressivité du système en tenant compte non seulement des cotisations, mais également des prestations. Thomas Piketty en a d'ailleurs parfaitement conscience, puisqu'il a écrit ce papier avec Antoine Bozio en 2008 : Retraites: pour un système de comptes individuels de cotisations dans lequel entre autres, il fait justement remarquer que les ménages aisés vivant en moyenne plus longtemps (il y a un écart d'espérance de vie à la retraite d'environ 8 ans entre les cadres et les inactifs, lien), et que les retraites ne sont pas calculées sur la base de l'espérance de vie restante de chaque catégorie de ménage, mais sur l'espérance de vie restante de tout le monde, alors les ménages aisés reçoivent plus qu'ils ne donnent, et ce déficit est financé par les ménages défavorisés. 

C'est le cas classique de l'assurance, qui prélève aux chanceux pour donner aux malchanceux. Le problème ici est que le sinistre indemnisé par l'assurance est le fait de vivre plus longtemps que prévu (tout le monde se souvient du film Le Viager, dans lequel une famille entière est ruinée après avoir acheté une maison en viager à un Michel Serrault qui enterre tout le monde), et que la population "à risque" est en moyenne plus favorisée. Par exemple, en faisant une simulation très rapide sur le régime privé, avec des hypothèses assez frustes, on peut regarder de quelle ampleur est cette régressivité. 



Le graphique est centré en zéro, donc dans un système équilibré, l'espérance de la somme des retraites de quelqu'un ayant gagné le revenu moyen toute sa vie sera égale aux cotisations versées par les personnes gagnant le revenu moyen. 

Cependant, les personnes ayant un revenu en dessous de la moyenne vivant moins longtemps, l'espérance de la somme de leurs retraites sera inférieure aux cotisations des personnes au même niveau de la distribution de revenu. Il s'agit ici d'un transfert d'environ 14 Milliards d'euros des ménages en dessous de la moyenne aux ménages au dessus de la moyenne,soit environ un tiers des recettes totales de l'Impôt sur le Revenu, ou presque 1 point de PIB. Au passage, repousser l'âge de départ à la retraite empire ce problème, puisque certains ménages défavorisés commencent à cotiser plus tôt (études moins longues), et puisque une année de retraite en moins pour des ménages ayant une espérance de vie à 60 ans de 16 ans réduit de 1/16ème les prestations de ces ménages, contre 1/24ème pour les ménages ayant une espérance de vie à 60 ans de 24 ans. 

Résoudre ce problème n'est pas évident. L'idéal étant évidemment d'avoir un système le moins régressif possible, voire parfaitement équilibré à chaque niveau de revenu, puis de laisser les autres impôts et prestations sociales s'occuper de la redistribution. Cela permettrait d'assurer l'équilibre financier et politique sur le système des retraites, celui-ci ne polarisant plus les opinions.  

Une première solution, retenue en France, est d'augmenter le taux déplafonné de 2%. C'est un peu ce que fait la CSG. Comme les revenus augmentent plus que linéairement (voir post sur les classes moyennes), on obtient une décomposition moins régressive, mais pas vraiment équilibrée pour toutes les tranches. 




Une seconde solution est de rendre les retraites ou les cotisations proportionnelles à l'espérance de vie moyenne de sa tranche de revenu. C'est quasiment impossible d'avoir des tables de mortalité aussi précises, mais les actuaires sont très forts pour faire des hypothèses raisonnables. Concrètement, cela pourrait se traduire par des durées de cotisation, des taux de cotisation, des taux de remplacement ou des valeurs de liquidation des points Arrco/Agirc légèrement progressifs. Selon les choix faits, cela peut augmenter ou diminuer le poids total des retraites dans le PIB, mais en les rendant parfaitement équilibrées par niveau de revenu. Par exemple, si vous investissez dans l'épargne-retraite chez AXA ou chez Groupama, soyez certains que c'est ce que les actuaires d'AXA et Groupama chercheront à calculer. 

  • Poids des retraites dans le PIB : la France, le pays des fourmis. 
En France, les retraites représentent environ un tiers des prélèvements obligatoires (lien). On voit que jusqu'à 300 000 euros de revenus, les cotisations retraites représentent une épargne forcée de 20% du revenu. Au total, cela pèse pour 13% du PIB auxquelles s'ajoutent les 10% du PIB (15% du revenu disponible) d'épargne des ménages, ce qui porte le taux d'épargne  total des ménages français à 25% du PIB (37% du revenu disponible). A titre de comparaison, le taux d'épargne des ménages anglais est de 7.5% du PIB pour les retraites, et 5% du PIB à titre personnel, donc 12.5% du PIB au total (18% du revenu), soit la moitié de celui de la France. 

Cette épargne élevée a plusieurs impacts. 

1) L'écart de niveau de vie entre les plus de 60 ans et les moins de 30 ans est bien plus élevé en France qu'ailleurs. Il est possible que beaucoup de jeunes actifs préféreraient répartir dans le temps leurs cotisations retraites. Mais on ne peut pas laisser trop de libertés non plus, sinon il est probable que beaucoup de personnes n'épargneraient pas assez et la collectivité devrait gérer une pauvreté des seniors beaucoup plus problématique. 

2) Il est probable également qu'un bon nombre de personnes aisées souhaiteraient épargner moins que les 20% de leur salaire jusque 300 000, quitte à avoir une retraite moins élevée. Cela aurait le mérite de réduire un peu le problème abordé dans la partie précédente, puisque le coût d'une année supplémentaire d'espérance de vie d'une personne aisée serait moins élevée si sa retraite est moins élevée. On pourrait par exemple plafonner les cotisations et les retraites non pas à 8 fois le plafond de la sécurité sociale, mais à 1 ou 2 fois. Par exemple, plafonner à 70 000 réduirait le poids des retraites dans le PIB de 1.5 points (environ 30 milliards d'euros), tout en améliorant la balance de 3 milliards. 

3) Une abondance d'épargne n'est pas forcément bonne pour la croissance, comme on l'a vu dans le post sur la stagnation séculaire. D'abord, dans le strict cadre des modèles de croissance endogène, la croissance de long terme ne dépend que de l'innovation et de la démographie. La convergence vers l'équilibre de long terme dépend certes de l'épargne, mais il y a un taux d'épargne optimal, déterminé par la règle d'or. Si les ménages épargnent trop, ils se privent pour rien, à court comme à long terme. Certes la croissance serait plus faible à court terme (moins d'accumulation du capital, donc convergence moins rapide), mais la baisse de leur taux d'épargne compenserait la baisse de leur revenu, ce qui leur permettrait de consommer plus. Donc si le taux d'épargne est trop élevé, les ménages se privent pour rien. On a des raisons de penser que c'est le cas de la France. 

Enfin, dans le cadre de la stagnation séculaire, qui s'impose de plus en plus dans la recherche en ce moment (papier de Eggertsson et al. publié récemment), une surabondance d'épargne en l'absence de projets d'investissements (lié au manque d'innovation ou à la faible démographie) peut produire des taux d'intérêts naturels (égalisant épargne et investissement) négatifs. L'impossibilité d'atteindre des taux négatifs empêcherait le marché de l'investissement de s'ajuster (market clearing = atteindre le prix permettant d'égaliser offre et demande), et donc empêcherait les autres marchés de s'ajuster, en particulier le marché du travail, conduisant à du chômage. 

Ces questions sont très importantes. Elles peuvent suggérer qu'il faudrait réduire les taux de cotisation et les retraites correspondantes. Le faire uniquement au-delà d'un plafond de revenu n'aurait pas d'impact sur les taux d'épargne car les ménages aisés épargneraient de toute manière tout surplus de revenu. Mais baisser les cotisations et les retraites des classes moyennes pourrait créer de la pauvreté chez les seniors. 











2 commentaires:

  1. Bonjour, je suis étudiant en économie et dans le cadre de mon stage je travaille sur le thème de ce billet. J'aimerai beaucoup savoir à partir de quelles données vous êtes arrivé au résultat suivant :

    "On pourrait par exemple plafonner les cotisations et les retraites non pas à 8 fois le plafond de la sécurité sociale, mais à 1 ou 2 fois. Par exemple, plafonner à 70 000 réduirait le poids des retraites dans le PIB de 1.5 points (environ 30 milliards d'euros), tout en améliorant la balance de 3 milliards. "

    Egalement, si vous saviez où trouver des comparaisons internationales ou européennes sur le plafond des cotisations et des pensions, je serai très intéressé.

    Cordialement,
    Matthieu ROUYER

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    1. Bonjour,

      il s'agit d'une simulation personnelle à partir des données suivantes :
      1) Distribution des revenus en France en 2010 disponible sur le site de Thomas Piketty pour tenir compte de ce qu'il se passe à l'intérieur du 1% supérieur.
      2) Taux de croissance économique et démographique moyen depuis 1990.
      3) Espérance de vie par CSP selon le COR, puis corrélation CSP/revenus selon l'INSEE.

      Les hypothèses sont les suivantes :
      1) La distribution des revenus ne change pas
      2) Tout le monde est au régime général
      3) La démographie est stationnaire, ce qui signifie qu'il n'y a pas de vagues dans la pyramide des âge.

      L'idée de l'article est de fournir un ordre de grandeur.

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