lundi 28 avril 2014

Les "réformes structurelles" Partie II

(suite de ce post)

Dans le post précédent, on a vu que la production de long-terme est déterminée par la courbe d'offre : des facteurs dits "structurels" déterminent le "potentiel" de l'économie, et le niveau "naturel" de la production et du chômage. Dans ce contexte, "naturel", "potentiel" et "structurel" sont des synonymes. Les fluctuations de la demande, liées à celles de la demande extérieure,  de la politique monétaire et des comportements de consommation et d'investissement, déterminent la production de court-terme qui peut être tour à tour supérieure à son niveau naturel (ce qui crée de l'inflation, les ressources disponibles comme le travail et le capital se raréfiant) et inférieur (ce qui crée de la déflation, les facteurs de production disponibles étant abondants). 

Les fluctuations de la demande ont une fréquence élevée, et c'est le but de la banque centrale de les annuler et de maintenir l'économie sur son chemin de croissance potentielle. On a vu que dans le cas très rare où l'économie tombe en trappe à liquidité, la banque centrale perd la maîtrise de la stabilisation, et d'autres méthodes non-conventionnelles doivent prendre le relais. 

Les fluctuations de l'offre sont beaucoup plus lentes et/ou rares. Un choc pétrolier ou un accident industriel sont des chocs d'offre très immédiats mais rares. Une amélioration de la concurrence ou l'élévation de la productivité liée à l'innovation sont des modification de l'offre s'étalant sur plusieurs années voire décennies. 

Ce qui nous amène donc aux réformes structurelles. De quoi s'agit-il exactement? Ce mot un peu fourre-tout est malheureusement utilisé pour caractériser des réformes qui ne sont pas à proprement parler "structurelles". En réalité, une réforme structurelle est une réforme qui améliore le potentiel de long-terme de l'économie. Elle peut prendre plusieurs formes : 

1) Augmenter les incitations à travailler, par exemple en augmentant l'âge de départ à la retraite ou en réduisant les prestations sociales. Si l'économie est contrainte par la demande, ces réformes ne servent à rien d'autres que créer plus de pauvreté et de chômage, même à détériorer la demande agrégée puisque les pauvres consomment une plus grande part de leur revenu, mais lorsque l'économie atteindra à nouveau son potentiel, celui-ci sera plus haut. 

2) Augmenter la productivité via l'innovation, en aidant au financement de la recherche. Cette politique n'influe pas directement sur le niveau de la demande, sauf à travers le salaire des chercheurs publics, mais augmente la probabilité de découvrir une innovation augmentant la productivité. 

3) Améliorer le niveau de concurrence, réduire les barrières à la création d'entreprises. Cela vient du fait qu'un marché où une entreprise est en situation de monopole produit moins qu'un marché où plusieurs entreprises sont en concurrence. Le monopole peut choisir de produire moins et vendre plus cher sans affecter son profit. 

4) Augmenter la productivité en investissant dans l'éducation ou dans les infrastructures. Si l'économie est contrainte par la demande, embaucher des professeurs et des ouvriers pour construire des autoroutes a le mérite d'être également une politique de relance de la demande. 

Quelles réformes présentées comme "structurelles" n'en sont pas? Par exemple, une politique de réduction de la dépense publique n'est pas en soi une politiques structurelle, elle n'en est une que si elle consiste à réduire autre chose que les dépenses d'éducation, d'investissements et de recherche et si elle améliore les incitations à l'emploi, ou bien qu'elle permette une baisse d'impôts plus tard qui améliorera les incitations à l'emploi. Le problème est malheureusement que les dépenses publiques les plus faciles à réduire sont les dépenses d'investissement. 

Quelles réformes structurelles sont les plus efficaces? 

1) Encourager l'emploi a très certainement un effet sur le niveau du PIB potentiel. La différence de niveau de PIB/hab entre USA et Europe s'explique presque entièrement par le niveau de l'emploi des seniors, des femmes, ainsi que par la durée moyenne annuelle du travail. On peut débattre de la pertinence du PIB/hab comme indicateur de bonheur, car il est clair que travailler 24h par jour n'est pas souhaitable, même si ça a des chances d'augmenter le PIB/hab. Un des effets intéressants de la réforme de la santé d'Obama est par exemple de réduire les incitations à l'emploi : moins d'américains se sentiront piégés dans leur emploi  à plein temps simplement pour garder leur police d'assurance (phénomène dit de "job lock"). L'élévation du niveau de richesse réduit aussi les incitations à l'emploi, une heure supplémentaire de travail ne servant qu'à fournir des biens de moins en moins nécessaires, au détriment de loisirs de plus en plus variés. Voilà par exemple le nombre d'heures travaillées par an par travailleur et par pays. La tendance est à la baisse dans la plupart des pays (c'est-encore plus évident si on regarde la France et les USA depuis 1950, seuls pays pour lesquels des séries aussi longues existent), et les heures travaillées sont en moyenne plus élevées dans les pays plus pauvres. 

Source OCDE



Source OCDE
De manière générale, on considère plutôt que la causalité est inverse ici : travailler plus certes améliore la production par habitant, mais quand la production par habitant augmente, les gens ont moins envie de travailler. Ce deuxième effet domine probablement à long terme. 

2) On a vu dans un post précédent que les dépenses en R&D avait un impact sur la croissance de long terme assez significatif. Le graphique est fait ici avec la croissance moyenne entre 2000 et 2007, une période pas assez longue pour comprendre l'ensemble d'un cycle économique (le Royaume Uni était par exemple en plein boom financier, la Finlande sortait de la crise la plus grave de son histoire, et la France sortait de sa plus forte période de croissance d'après 79, ce qui explique la dispersion des points), mais cela donne une idée. 

Source Banque Mondiale

Les points 3 et 4 en revanche, sur l'éducation, les infrastructures et la concurrence, sont intéressants. Ce papier de 2009 (lien) écrit par Aghion, Askenazy, Bourlès, Cette et Dromel évalue l'impact de l'éducation et des rigidités sur la croissance potentielle. Les résultats peuvent se résumer ainsi : 

1) Les rigidités sur le marché des produits (concurrence, barrière à l'entrée) et du travail (contrats rigides) ont un impact négatif sur la croissance de long terme et cet impact négatif est d'autant plus fort que le pays se rapproche de ce qu'on appelle la frontière technologique. Cela peut se comprendre théoriquement : l'innovation seule ne suffit pas, il faut favoriser sa transmission au sein de l'économie. Pour les pays éloignés de la frontière, cela passe d'autres facteurs que l'absence de rigidité, comme l'ouverture commerciale qui permet d'importer l'innovation. 

2) De même, le niveau d'éducation est d'autant plus important que le pays est proche de la frontière technologique. Pour les pays proches de la frontière, l'éducation a un effet près de deux fois plus important que les rigidités. Cela se comprend théoriquement aussi : plus le pays est proche de la frontière, plus il doit repousser la frontière pour croître, et l'innovation est directement liée à la qualité de l'éducation. 

3) Pour les pays proches de la frontière, les rigidités apparaissent d'autant plus négatives qu'elles sont importantes à la fois sur le marché des produits et du travail, pas seulement sur l'un des deux. 

4) Certains types de rigidités, comme la proportion d'entreprises détenues par l'Etat (réduisant potentiellement la concurrence), n'ont aucun impact. 

Si on prend l'exemple de la France, les indicateurs de rigidités de l'OCDE (lien) montrent que c'est surtout sur la proportion d'entreprises détenues par l'Etat que la France est à l'écart (quasiment dernière sur 30 pays), mais ce n'est pas très important pour la croissance d'après Aghion et al. 

La France est la mieux classée en terme de d'absence de contrôle des prix, et est dans la moyenne des pays de l'OCDE (15/30) pour les barrières à entrepreneuriat. Elle peut notamment progresser sur la complexité des régulations, sur la vitesse d'obtention des permis de construire et sur le traitement des défaillances, notamment avec l'inscription au fichier de la Banque de France des entrepreneurs défaillants, assez stigmatisante et dont on a beaucoup parlé dans la presse. 

Il y a également des progrès à faire dans certains secteurs, comme le commerce de détail (dont on a parlé dans la presse avec les ouvertures le dimanche, ou les limitations de taille des grandes surfaces) et les services professionnels : la France et le Canada sont les pays régulant le plus au monde la profession d'architecte par exemple, qui est pourtant un exemple parfait de profession hautement qualifiée et peu délocalisable. Les taxis sont également fortement régulés en France, mais pas beaucoup plus que dans d'autres pays. 

D'après ces données, il y a sûrement un peu de croissance potentielle à aller chercher en diminuant certaines rigidités peu justifiées, un peu de croissance en améliorant la R&D et en la rendant plus efficace, et beaucoup de croissance en améliorant l'éducation. 


Note : Une version antérieure de cet article sous-estimait l'impact des rigidités des marchés du travail, des biens, et des services pour les pays proches de la frontière technologique, et se fondait sur une version inachevée du papier d'Aghion. Mais la conclusion est la même, il y a plus de croissance à récupérer par l'augmentation du niveau d'éducation. 


2 commentaires:

  1. Bonjour

    Bravo pour votre blog très intéressant et très riche.
    Concernant l'étude d'Aghion et al, voici un extrait du résumé qui en est fait sur le site de l'Insee, qui me semble contradictoire avec votre propre résumé de l'article, qui insiste sur les faibles effets d'une flexibilisation sur le marché des B et S pour les pays proches de la frontière technologique :
    "Les principaux résultats originaux obtenus sont la caractérisation des effets du niveau de formation de la population en âge de travailler et des rigidités sur les marchés des biens et du travail sur la croissance de la productivité globale des facteurs (PGF). Pour les pays proches de la frontière technologique, ces effets seraient très significatifs. Une interaction entre les rigidités s’exerçant sur les deux marchés ressort nettement. Le fort impact du niveau d’éducation supérieure et des rigidités sur la croissance de la PGF semble traduire à la fois une influence directe et un effet transitant indirectement par la diffusion des TIC. Enfin, concernant le marché des biens, les composantes « barrières à l’entrée », « structure du marché » et « degré d’intégration verticale » paraissent avoir une influence importante. Pour les pays éloignés de la frontière technologique, les résultats des estimations indiquent que le niveau de formation supérieure de la population en âge de travailler et les rigidités sur les marchés des biens et du travail n’ont pas nécessairement une influence significative sur la croissance de la PGF".
    http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&id=2597

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    1. Effectivement, merci pour cette contribution. Mon article se fondait sur une version "working paper" de l'article d'Aghion et al. et n'était pas à jour de leurs derniers résultats : pour faire apparaître un effet des rigidités, il fallait introduire un lag de deux ans. La publication de leur article en français sur le site de l'INSEE m'avait échappé.

      In fine, leur article montre bien qu'il y a 1 point de PGF à récupérer si la France rattrape les USA en terme de niveau d'éducation de la population en âge de travailler, contre 0.4 seulement pour les rigidités.

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