mardi 1 avril 2014

L'importance des prochaines élections européennes.

On quitte brièvement le domaine de l'économie pour mieux y revenir. Le post précédent fait l'inventaire des raisons pour lesquelles la politique économique de la zone euro est catastrophique : 

1) Politique monétaire trop restrictive, avec une inflation totale plus d'un point inférieure à la cible de la BCE. 

2) Problème de coordination entre les Etats membres de la zone euro depuis la création de la monnaie unique, débouchant en particulier sur des divergences de coûts du travail. 

3) Engagement sur un sentier d'austérité budgétaire à l'échelle européenne. 

Le premier problème est difficile à résoudre. On a vu que lorsque les taux d'intérêts approchent 0%, il est impossible de continuer de les baisser et la politique monétaire perd de son efficacité. La Réserve Fédérale (Fed) et la Banque d'Angleterre (BoE) ont cependant bien plus accru leur bilan que la BCE pendant la crise. La Banque du Japon (BoJ) a récemment accéléré sa politique expansionniste avec les Abenomics. Au premier trimestre 2014, c'est donc la Banque Centrale Européenne qui a la politique la plus restrictive. Mais il n'y a pas grand chose que les électeurs puissent faire à court terme. 




Le deuxième problème est un problème de long terme. Des raisons institutionnelles ou structurelles peuvent être à l'origine de divergence dans la vitesse à laquelle les prix (à la consommation, salaires, prix des actifs....) croissent dans différents pays de la zone euro.  Par exemple, si on compare les évolutions du coût du travail en France et en Allemagne depuis 2000 : 




On voit que le coût du travail a augmenté d'environ 3% par an en France depuis 2000, contre 2% par an en Allemagne. 

Les salaires seuls ont augmenté de 2.7% par an en France, contribuant ainsi à deux tiers de l'augmentation totale, et les coûts salariaux autres que les salaires (cotisations, impôts sur la masse salariale) ont augmenté de 3.7% par an en France, contribuant à un tiers de l'augmentation totale. 

Les salaires seuls ont augmenté de 2.2% par an en Allemagne, contribuant aux trois quarts de l'augmentation totale, et les autres coûts salariaux n'ont augmenté que de 1.1% par an, contribuant pour à peine un quart de l'augmentation totale. 

In fine, les salaires ont crû de 0.5 point par an plus rapidement en France qu'en Allemagne, et les autres coûts salariaux de 2.6 points, pour une divergence totale de 1 point par an. 

L'origine des divergences de salaires a des raisons profondes liées à des processus de négociations salariales qui diffèrent d'un pays à un autre. Les salariés en CDI en France ont un pouvoir de négociation bien plus important qu'en Allemagne, où les syndicats peuvent plus facilement accepter des baisses de salaires plutôt que des licenciements en cas de retournement de la conjoncture. Tant que la France avait sa propre monnaie, la spécificité du marché du travail français n'avait pas de conséquence sur la situation extérieure de la France. Le chômage plus élevé était une conséquence plus ou moins acceptée des salaires plus élevés, le marché du travail était polarisé entre salariés protégés et précaires peu protégés, et la compétitivité pouvait être préservée à l'aide de dévaluations si jamais les salaires augmentaient trop vite. L'arrivée de la monnaie unique a bouleversé cet équilibre en le rendant instable si nos voisins pratiquent une modération salariale que nos institutions sociales n'ont pas l'habitude de suivre. 

Les divergences des autres coûts salariaux sont autant dues au fait que l'Etat français a choisi de financer la protection sociale à travers des taxes sur le travail, et que celles-ci ont dû augmenter avec le vieillissement de la population, que dues au fait que les allemands ont parallèlement choisi de faire l'inverse, au détriment de la coopération européenne. Il faut dire qu'à l'époque l'Allemagne était l'homme malade de l'Europe, et il apparaissait naturel de rétablir leur économie en boostant les exportations. Il apparaît clairement que l'Allemagne a quelque peu overshooté sa cible. 

Un processus de réajustement peut se mettre en place, si les salaires stagnent en France, si les salaires augmentent en Allemagne. On peut également réduire les autres coûts salariaux, mais cela ne marche qu'une fois. Si les salaires augmentent plus vite, il sera difficile pour l'Etat de contenir l'augmentation du coût total sans se ruiner en baisses de charges. A vrai dire, la loi qui permettra le mieux de limiter l'augmentation moyenne des salaires en France relativement à l'Allemagne est l'accord intersyndical de début 2013 (lien) permettant aux syndicats de négocier des baisses de salaires plutôt que des licenciements en cas de difficultés de l'entreprise. Cela rejoint les fameux débats sur la "flex-sécurité", selon laquelle il vaut mieux protéger les personnes que les emplois. Pendant longtemps, protéger l'emploi était vu en France comme la politique de gauche par excellence, et cela fonctionnait tant qu'on pouvait dévaluer. Maintenant que nous partageons une monnaie avec l'Allemagne, grande adepte de la flex-sécurité, nous sommes forcés de nous aligner. La gauche doit se réinventer, et trouver de nouveaux chevaux de bataille économiques: taxation du capital, progressivité de l'impôt, lutte contre les inégalités, autant de sujet qu'elle a négligé en se focalisant sur les négociations salariales et en confondant parti politique et syndicat de travailleurs, en confondant la redistribution riches/pauvres en entreprises/travailleurs, cette dernière logique se faisant plutôt au détriment des chômeurs. 

Bref, le processus de réajustement est long et le choix de l'électeur n'a aucune chance d'avoir un impact direct. 

Le troisième problème, l'austérité budgétaire, a une solution très simple par contre: arrêter de chercher à réduire les déficits. Les Anglais l'ont fait en 2013 et ils ont connu leur meilleure année de croissance depuis 2008, même s'ils ont un retard à rattraper par rapport à la France et l'Allemagne. Les institutions européennes sont la principale force à l'origine des politiques d'austérité en Europe continentale, mais il faut savoir lesquelles. La décision politique dans l'UE est le résultat d'un subtil équilibre entre les Etats souverains et le peuple Européen. On peut donc voir l'UE soit comme un mélange entre une communauté d'Etats souverains signant des traités négociés par les chefs d'Etat, soit comme un grand Etat fédéral doté d'un Parlement qui vote des lois (des règlements). Les institutions de l'Union traduisent l'ambiguïté de cet équilibre : 

1) Le Conseil Européen : réunit quatre fois par les les chefs d'Etat européens. Il nomme le Président de la Commission Européenne, et décide de l'agenda politique. C'est un peu un président à 28 têtes. Herman Von Rompuy préside le Conseil Européen. Cette institution a été créée par le traité de Lisbonne en 2009, lorsque les chefs d'Etat ont voulu reprendre le contrôle des institutions de l'Union. 

2) Le Conseil de l'Union Européenne : réunit les ministres de tous les Etats Membres, avec une présidence tournante. Il a un pouvoir législatif, puisqu'il vote les règlements proposés par la Commission à la majorité simple ou qualifiée (pondérée selon les populations des pays représentés) selon les cas de figure. Il a également un pouvoir exécutif concernant la politique étrangère et de sécurité commune, et la coopération judiciaire ou pénale, domaine dans lesquels il est une force de proposition. 

3) La Commission Européenne : le Président est nommé par le Conseil Européen, chaque Etat membre propose un Commissaire et la Commission dans son ensemble est confirmée par le Parlement. C'est le gouvernement de l'Union Européenne, chaque commissaire dispose d'un portefeuille et de l'initiative législative en soumettant des règlements au vote du Parlement.

4) Le Parlement Européen : élu par les Européens à la proportionnelle directe, est la deuxième chambre législative avec la Conseil de l'Union.

L'aspect "communauté d'Etats souverains" a toujours été plus fort que l'aspect "fédération représentative du peuple Européen", et a même été renforcé par le traité de Lisbonne. Pendant très longtemps, les politiques nationales étaient plus importantes que la politique européenne, et un député européen allemand conservateur était plus proche d'un député européen allemand social-démocrate que d'un député européen français conservateur. L'Europe était donc le lieu où s'affrontaient des intérêts nationaux potentiellement divergents, sans considération pour les intérêts de l'Europe dans son ensemble. Les commissaires européens étaient choisis pour leur manque de colonne vertébrale, et la politique européenne était déterminée par le Conseil Européen. Le simple fait que chaque pays européen doit envoyer un commissaire et un seul montre bien la préférence pour la nationalité. 

Imaginez qu'en France on élise séparément 22 présidents de régions, qui vont ensuite nommer un gouvernement dont chaque ministre viendra d'une région différente (et donc sera soumis à l'autorité de son président de région ne serait-ce que pour sa nomination), et faire voter des lois par un Parlement où les groupes se font plus par nationalité que par opinion. Vous avez l'UE. On a d'ailleurs ce type d'opposition dans la plupart des républiques, où une chambre basse (Assemblée Nationale, US House of Representatives, Bundestag) représentante du peuple s'oppose à une chambre haute (Sénat français, US Senate, Bundesrat) représentative des Collectivités locales/States/Länder. 

Cela explique pas mal pourquoi l'Union s'est à ce point lancée sur la piste de l'austérité budgétaire. Au commencement était une histoire morale "les problèmes de la Grèce viennent de l'irresponsabilité budgétaire de son gouvernement", vite devenue "les problèmes de l'Espagne/l'Irlande/l'Italie/le Portugal/la France viennent de l'irresponsabilité budgétaire de son gouvernement", alors même que l'Espagne avait une dette proche de 60% en 2007, que la dette Italienne date des années 90 et que le budget italien était en surplus primaire depuis longtemps, que l'Irlande s'en sortait très bien avant de devoir sauver ses banques, que la France et l'Allemagne avaient les mêmes ratios de dette et de déficit en 2007.... 

Du point de vue des intérêts nationaux, les gouvernements allemands et français ne voulant pas payer pour les autres (et voulant préserver leurs banques aux bilans remplis de titres de dette grecque), la réponse a donc été de forcer ces pays à réduire très rapidement leurs déficits sans faire défaut sur leur dette. L'impulsion venant des chefs d'Etat, la Commission a dû suivre en proposant règlement sur règlement pour encadrer les déficits publics des Etats Européens. Les chefs d'Etats de la zone euro trouvant même que les institutions européennes n'étaient peut-être pas assez coopératives à leur goût, ont décidé de se passer d'elles et de signer le TSCG en 2012, ou Pacte Budgétaire Européen, comme un traité entre Etats souverains, court-circuitant ainsi totalement le Parlement. D'ailleurs trois Etats de l'UE n'ont pas signé ce traité, ce qui pose un sacré casse-tête pour les juristes chargés de traduire cet ovni juridique en droit européen avant le 1er janvier 2018. Le TSCG impose des conditions budgétaires encore plus dures que les règlements européens proposés par la Commission et votés par le Parlement. 

Beaucoup considèrent aussi que la BCE est sortie du cadre de son mandat (la stabilisation de l'inflation à 2% par an) en intervenant politiquement en faveur de l'austérité. Dans le langage européen, on dit "réforme structurelle" pour dire "réduction de la dépense publique". Les décisions politiques au niveau européen n'ont donc pas été représentatives de l'opinion publique européenne, et les institutions européennes ont tout fait pour inscrire la réduction des déficits dans le marbre, en la rendant résistante à tout changement de majorité politique au Parlement Européen. 

Ce qui nous amène donc à l'importance des élections européennes de juin 2014. Pour la première fois, un pas a été fait vers une logique plus fédéraliste puisque les principaux partis européens ont chacun désigné leur candidat au poste de Président de la Commission Européenne en forçant les chefs d'Etat à choisir le candidat du parti qui gagnera les élections. C'est quelque part une révolution institutionnelle, dans la mesure où les traités disposent que le Parlement élit une Commission proposée par le Conseil, pas que le Parlement propose un candidat.

Pourquoi cela peut-il changer quelque chose? Car d'une part cela personnalise les élections européennes. Si les partis politiques européens sont sérieux dans leur rébellion face aux chefs d'Etats, cela signifie qu'en votant vous allez pouvoir désigner qui du social-démocrate Martin Schultz, du conservateur Jean-Claude Juncker, du libéral Guy Verhofstadt, du révolutionnaire Alexis Tsipras ou des écologistes José Bové et Franziska Keller (lien) sera le prochain chef du gouvernement européen. Cela permettra d'enfin avoir un véritable débat sur ce que les européens attendent de l'Europe. 

D'autre part, cela pose un problème aux chefs d'Etat qui aimeraient continuer à décider entre eux de la politique de l'Union. La personnalisation de l'élection européenne donnera plus de légitimité à la Commission Européenne, qui pourra enfin agir librement. Le Conseil de l'Union continuera à détenir un droit de veto, mais ne pourra plus à lui seul imposer l'agenda européen. 

Déjà les chefs d'Etats réagissent contre cette rébellion des partis européens. Angela Merkel a torpillé la candidature de Michel Barnier comme candidat du PPE pour favoriser Jean-Claude Juncker, qui ne veut pas du poste de Président de la Commission, mais veut remplacer Herman Von Rompuy au Conseil Européen. Si le PPE gagne les élections, il suffira au Conseil Européen d'élire Juncker comme Président, et la Commission se retrouvera sans candidat à sa Présidence. Le Conseil pourra donc proposer qui il souhaite, un Président de Commission aussi peu charismatique que Jose Manuel Barroso par exemple, et la démocratie européenne aura à nouveau perdu. Mais cette manœuvre serait bien trop transparente, et risquerait d'attiser encore plus la révolte du Parlement Européen. 

La suite au prochain épisode. 








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