mardi 22 avril 2014

Les "réformes structurelles" Partie I

On en entend parler depuis des années mais on ne sait pas trop ce que c'est. Pour beaucoup de commentateurs et personnalités publiques, c'est devenu un moyen de dire que les pays du sud de l'Europe, France incluse, ont des modèles économiques d'un autre âge qu'il faut à tout prix réformer pour les propulser à toute vitesse dans le XXIème siècle. Apparemment, il y aurait des gains massifs à mener ces "réformes structurelles", aussi bien en terme de croissance que de finances publiques, mais bien peu sont réellement capables de spécifier ce que seraient ces réformes. On va essayer de faire cela en deux parties. D'abord en explicitant les différents impacts que des politiques publiques peuvent avoir, puis en étudiant dans un post ultérieur différents exemples de réformes, dont celles qu'on appelle "structurelles", combinant souvent plusieurs politiques ayant des effets différents. 

Dans l'analyse économique, on distingue les réformes qui permettent de déplacer la courbe de l'offre agrégée de celles qui permettent de déplacer la courbe de demande agrégée. L'offre agrégée est déterminée par la productivité, le degré de concurrence, les régulations sur le marché du travail, le niveau de taxation, et à court terme par les anticipations de prix via le salaire réel : les prix réagissant plus vite que les salaires, une hausse de prix sans hausse de salaire permet une augmentation du PIB. La demande agrégée est déterminée par le déficit public, la politique monétaire, et les comportements de consommation et d'investissement des agents. 




On voit par exemple qu'une politique de demande se caractérise par une augmentation du PIB et des prix, tandis qu'une politique de l'offre se caractérise par une augmentation du PIB et une baisse des prix. 

A long terme, les anticipations de prix et les prix convergent, ce qui rend la courbe d'offre de long terme indépendante du prix : la production, qui dépend du salaire réel, ne dépend pas du niveau des prix, car les salaires finissent par s'ajuster aux prix. Ainsi, les politiques de demande n'ont pas d'effet sur le PIB de long terme, c'est à dire le PIB potentiel de l'économie.  




En cas de très forte crise de la demande, les taux d'intérêts peuvent tomber à zéro et on se retrouve dans ce cas en "trappe à liquidité", un monde où tout est à l'envers. Ce coup-ci, c'est la demande qui est verticale, et les politiques de l'offre sont sans effet. 



Voilà pour le cadre d'analyse. Toutes les grandes réformes consistent en l'agrégation de politiques publiques élémentaires ayant chacune un effet sur l'offre et sur la demande. Ces politiques publiques élémentaires sont celles jouant sur les paramètres de l'économie sur lesquels il est possible de jouer: 

1) Les impôts sur le revenu ou la consommation: plus d'impôt = moins de demande via la baisse du revenu disponible et moins d'offre via "l'incidence fiscale" (voir ce post par exemple) et l'effet désincitatif des taux marginaux.
2) La dépense publique d'investissements : plus de demande, effet positif sur l'offre (via l'augmentation de la productivité)
3) La dépense d'éducation : plus de demande, effet positif sur l'offre (via l'augmentation de la productivité)
4) La dépense sociale : plus de demande, moins d'offre (via l'effet désincitatif). 
5) La masse monétaire : plus de monnaie = plus de demande, sans effet sur l'offre
6) Le contrôle des prix (SMIC, loyers, etc) : plus de contrôle = moins d'offre
7) Le degré de concurrence entre entreprises (permis, licences, lois antitrust) et entre travailleurs (difficultés à licencier) : plus de concurrence = plus d'offre. 

Il y a deux bémols à cette description : l'analyse économique des externalités peut nous conduire à favoriser une régulation ou un impôt pour l'offre, s'ils permettent d'éviter un comportement ayant des répercussions négatives sur l'économie dans son ensemble. De même, dans le cas des biens publics, cela peut aussi valoir la peine d'instaurer un monopole public, assez peu favorable à la concurrence. Mais pour la plupart des activités, le cadre ci-dessus s'applique. 

Donc voilà pour le signe des impacts. Pour connaître leur taille, il faut un modèle un peu plus raffiné, qui reposera sur des hypothèses potentiellement contestables, et il faut détailler un peu mieux chaque politique. Une hausse de TVA n'aura pas du tout le même effet sur la demande et l'offre qu'une hausse de l'ISF (qui aura probablement un effet nul sur les deux). Construire une ligne de TGV inutile s'apparentera plus à une politique de la demande, l'effet sur l'offre de long terme étant nul. 

La demande et l'offre ne sont pas les seules dimensions impactées par les politiques publiques. On peut rajouter par exemple la dimension des finances publiques. Les inégalités, la santé, l'emploi, le bonheur sont également des dimensions intéressantes. L'avantage du triptyque (demande, offre, finances publiques) est qu'il est quasiment orthogonal : avec la bonne combinaison, on peut jouer sur chaque dimension sans impacter les deux autres. Il est également assez peu politique, puisqu'il ne pose pas trop de problème de redistribution ou de choix social. 

Les rares cas où cela survient sont à l'origine du mépris du public pour les économistes cyniques. Par exemple les économistes, étant massivement pro-mondialisation et pro-flexibilité, favoriseront souvent un modèle avec moins de sécurisation de l'emploi, mais plus de sécurisation des trajectoires, ce qui peut être vécu par certains comme se ranger du côté du méchant patron. Les économistes favorisent aussi les assurances obligatoires (parfois gérées par l'Etat) afin de diluer le risque, ce qui peut être vécu par d'autres comme une intrusion insupportable de la puissance publique. Aussi, l'impact des inégalités sur l'offre et la demande, ou celui du PIB sur l'emploi, méritent en revanche des posts à eux tout seuls. 

En dehors de ces cas, cela nous donne trois dimensions (offre, demande, finances publiques) d'évaluation des politiques publiques. Un bon économiste, contrairement au mauvais économiste (post I et post II), sait que des problèmes différents suggèrent des solutions différentes. Selon le problème qu'il essaie de régler, il piochera donc dans sa boîte à outil des politiques élémentaires qui mises bout à bout lui permettent de régler le problème sans empirer les autres dimensions. 

Dans la partie suivante, on étudiera l'impact de différentes réformes, et on essaiera de qualifier certaines d'entre elles de structurelles, en approchant le plus possible la définition entendue par les commentateurs et personnalités publiques. 


2 commentaires:

  1. Quel est le degré de véracité scientifique que l'on peut accorder à ces deux belles courbes parfaitement linéaires à pentes opposées s'interceptant ?

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    1. Aucun. Mais le raisonnement tient tant que l'une est croissante et l'autre décroissante. A long terme, l'offre tend à être verticale. En trappe à liquidité, la demande tend à être verticale. En outre, peu importe la forme de la courbe, pour des petites variations (comme un déplacement de 1% du PIB), on peut l'assimiler à sa tangente. Les pentes opposées sont une coïncidence du dessin.

      Enfin, si le sujet vous intéresse, je vous encourage à étudier les cours de Christina Romer (http://eml.berkeley.edu/users/webfac/cromer/e134_sp13/e134.shtml). Ici le modèle présenté est OA-DA, le plus utilisé est en fait une version dynamique d'OA-DA, à savoir Phillips-DA, dans lequel c'est l'inflation et non le prix en ordonnée.

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