jeudi 24 avril 2014

Théorie fumeuse sur les allègements de cotisations salariales.

J'ai une théorie fumeuse. 

L'économiste sait (ou du moins se doute) que la grosse majorité des cotisations salariales (employeurs + employés) est payée par les salariés. Ecopublix a fait un billet à ce sujet il y a quelques années déjà, en constatant que la hausse du taux de cotisation au cours de la deuxième moitié du XXème siècle n'avait pas conduit à une baisse de la part des revenus du capital dans la valeur ajoutée. 

Les cotisations donnant droit à des prestations (assurance maladie et retraite principalement), baisser les cotisations plus que les prestations revient en fait à laisser l'Etat subventionner l'assurance maladie et la retraite des personnes concernées par les allègements. 

Parallèlement, l'économiste sait que le SMIC peut poser problème si le coût total pour l'employeur d'un employé au SMIC est supérieur à la productivité de cet employé. Mécaniquement, un SMIC + charges élevé conduit à un niveau d'emploi plus faible dans les secteurs à productivité du travail faible, et un chômage des moins qualifiés. 

La conclusion logique est qu'alléger les charges est un cadeau aux travailleurs non qualifiés, soit via des hausses de salaires nets s'ils étaient en emploi (il faut voir ça en dynamique, une hausse de salaire net par rapport à la situation initiale peut se traduire par une progression salariale annuelle moyenne de 1% au lieu de 0.5% au cours des dix prochaines années), soit via une embauche plus importante. Pour les secteurs qui embauchent des travailleurs qualifiés et non qualifiés, cela a un effet de substitution des qualifiés vers les non qualifiés. 

Le cadeau aux travailleurs non qualifiés est donc en partie financé par les travailleurs qualifiés (dont le taux de chômage est très bas de toute manière, voir graphique) et le reste par les personnes qui devront financer l'allègement de charges. Si c'est par une hausse du taux marginal de l'impôt sur le revenu, de l'ISF, ce sont plutôt des riches, si c'est par un gel des prestations ou du point d'indice de la fonction publique, ce sont les retraités et les fonctionnaires. 



Evidemment, il y a un caveat : le patron de restaurant peut très bien décider de ne pas embaucher, mais d'acheter une nouvelle caisse enregistreuse, augmenter son salaire, rembourser ses dettes. Mais quoiqu'il fasse d'autre, ça ne sera pas forcément négatif pour l'emploi à long terme, on peut imaginer que ça améliorera la productivité de ses employés (nouvelle caisse), réduira la pression des investisseurs et dégagera une marge de manœuvre (rembourser ses dettes) ou bien empêchera qu'il se démotive complètement et ferme son restaurant (hausse du revenu du patron). Un peu de tout se passera. Je parle du restaurant parce que c'est l'exemple typique du secteur employant des salariés au SMIC et très intensif en main d'oeuvre, mais il y en a plein d'autres. 

Il peut aussi baisser ses prix s'il pense que ça lui permet de capter plus de demande. Là, l'effet un peu moins direct : la pression déflationniste peut encourager la BCE à intervenir, et permet en outre des ajustements intra-zone euro, les salaires en général pouvant ainsi augmenter moins vite que sans les allègements de charge, cela sans heurter le pouvoir d'achat, et ce qui ajuste le taux de change réel France/Allemagne. 

Mais du coup, pourquoi les syndicats de travailleurs sont-ils opposés aux allègements de charges, les présentant comme "des cadeaux aux patrons"? Il y a plusieurs explications possibles: 

1) Ils pensent que toute la baisse sera captée par les patrons. C'est pas très crédible, on ne peut pas à la fois soutenir que lorsque les charges augmentent les employés trinquent, et lorsque les charges baissent les employés trinquent. 

2) Ils n'aiment pas la manière dont sont financés ces allègements de charges. Je n'ai pas l'impression que ce soit le cas, mais ça voudrait dire que la CGT défend les travailleurs qualifiés et les retraités au détriment des travailleurs entre 1 et 1.5 SMIC. 

3) Ils sont contre parce que le Medef est pour. 

Si c'est l'explication 3, il faut donc se demander pourquoi le Medef est pour si c'est un cadeau aux travailleurs non qualifiés et pas aux patrons. D'abord on peut constater qu'une petite partie profitera certainement aux patrons, mais si le Medef veut qu'un gouvernement de gauche passe les allègements, il a intérêt à se taire.

Ma théorie fumeuse est donc la suivante : le Medef est pour et fait campagne dessus, ce qui lui permet de diviser la gauche. Les sociaux-démocrates sont inaudibles quand ils disent que les allègements profitent aux travailleurs non qualifiés, les syndicats traitent le gouvernement de vendu à la solde du Medef, et le gouvernement espère que ça finira par se voir sur les chiffres du chômage, donc joue long-terme. 

Si la stratégie du Medef paie, c'est-à-dire si la courbe du chômage ne s'inverse pas assez tôt, alors la gauche perd les prochaines élections, et le nouveau gouvernement de droite peut revenir à une politique qui pour le coup est réellement dans l'intérêt des principaux contributeurs du Medef : bouclier fiscal, fin de l'imposition des revenu du capital au barème de l'IR, etc... 

Vous en dites quoi? 





8 commentaires:

  1. Pour l'argument 1), je ne pense pas que ça soit évident de le balayer d'un revers de main, cf ce qui s'est passé avec la désinflation compétitive de Raymond Barre dans les 70's

    Pour l'argument 2), ce que fait le gouvernement est une dévaluation fiscale (baisse des charges patronales financées par une hausse de TVA). C'est donc un transfert de taxes des entreprises vers les consommateurs. On peut donc tout à fait critiquer ça, c'est légitime.

    De plus, il n'est pas du tout évident que les syndicats aient intérêt à défendre en priorité les salariés < 1,5 smic. En effet, les syndicats sont avant tout très bien implantés dans les grandes entreprises où ils trouvent leur électorat chez des salariés ayant une gamme de salaire assez large.

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    1. Je ne vois pas ce que la désinflation (ratée) de Raymond Barre a à voir avec la prétendue asymétrie dans la variation des cotisations sociales.

      Exercice de pensée : prenez une situation où le salarié gagne 100 et l'employeur paie 100. On introduit 20 de cotisations. Si cela pèse majoritairement sur le salarié (disons 75%), le salaire net du salarié devient 85 et le coût employeur 105. Si on enlève les 20, on revient à la situation initiale. Pour que l'argument 1) tienne, il faudrait qu'en enlevant les 20 le salarié reste à 85 mais le coût tombe à 85. On peut avoir des effets d'aubaine à court-terme si les salaires sont rigides, mais plus probablement, on revient à la situation initiale au bout d'un temps pas très long.

      2) La TVA est un mode de financement que j'ai oublié. Il accentue l'aspect "dévaluation fiscale", mais ses effets font encore débat. Il est cependant clair que c'est un mode de financement pesant plus sur les ménages modestes. Lire les travaux de Gopinath sur le sujet, c'est très intéressant. Je pense consacrer un post à ce sujet http://www.nber.org/papers/w17662

      3) C'est possible. La CGT n'est donc peut-être pas simplement Pavlovienne, elle est, au contraire du Medef, l'ennemie des travailleurs non-qualifiés. Ca me paraît un peu tiré par les cheveux, mais pas forcément plus que ma théorie fumeuse alors...

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  2. Explication 4)
    Le business model des syndicats dits "de travailleurs" est de gérer les fonds sociaux (retraite, sécu, chômage)
    Tout remplacement d'un financement "par les salariés" par du financement "par l'Etat" est une menace stratégique majeure pour ce business model. Un jour ou l'autre, quelqu'un finira par réaliser que si l'argent vient de l'Etat, il n'y a aucune raison d'en donner la gestion aux syndicats.
    Les baisses de charges sont peut-être dans l'intérêt des salariés, mais sont clairement contraires à l'intérêt des syndicats.

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    1. Dans la mesure où les fonds sociaux sont sous tutelle de l'Etat depuis 95, qui décide seul des taux et prestations, et que les syndicats ont un rôle purement consultatif, je n'y crois pas vraiment. D'autant que le financement des partenaires sociaux (syndicats de travailleurs comme syndicats de patrons d'ailleurs) n'est pas proportionnel au budget géré par les fonds sociaux, les baisses de charges n'ont aucun impact sur le budget des syndicats.

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    2. Je parle de menace stratégique, existentielle.
      Si nous sortons du paritarisme, ils sont morts.
      C'est beaucoup moins vrai pour les syndicats d'employeurs qui peuvent vivre des cotisations de leurs membres.

      C'est pour cette raison que la CGT s'oppose aux baisses de charges tout comme elle s'oppose à la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Plus le social ressemble au fiscal, plus ils sont en risque.

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    3. C'est une façon de voir les choses. On peut aussi imaginer que les syndicats soient financés directement par l'Etat, comme les partis politiques, ce qui aurait le mérite d'être plus transparent.

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    4. Le truc dingue serait qu'ils soient financés par ceux qu'ils sont supposés servir, les salariés. Comme dans les pays nordiques, au climat social bien meilleur que le nôtre.

      Au-delà d'être plus transparent, ça aurait le 2e mérite de les inciter à effectivement servir leurs "clients".

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    5. C'est déjà un peu le cas, mais de moins en moins avec la baisse du taux de syndication. Pour l'instant, c'est un tiers cotisations, un tiers subventions directes, un tiers pour la gestion des fonds sociaux.

      On peut imaginer supprimer ce dernier tiers, et le remplacer par un financement direct assis sur la représentativité des syndicats par branche d'activité. Ca aurait le mérite d'être plus clair, et d'inciter les représentations syndicales locales à faire de vraies campagnes sur des questions liées à l'entreprise ou au secteur dans laquelle elles sont implantées.

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