jeudi 18 décembre 2014

Sinn versus Saraceno : 0-2

Il semblerait que Hans-Werner Sinn, un économiste respecté outre-Rhin mais très critiqué ailleurs pour son opposition à toute mesure expansionniste, qu'elle soit monétaire ou budgétaire, soit vexé par la levée de boucliers que sa tribune dans le Financial Times en septembre - critiquant ouvertement la politique de Mario Draghi - a provoquée. Il a récemment écrit à Francesco Saraceno pour mieux expliciter sa position. Francesco Saraceno répond ici.


Pour mémoire, voici les posts que j'avais consacrés au sujet en septembre : 

mercredi 3 décembre 2014

La France est-elle en déclin?

Critiquer le modèle français est un sport à la mode. N’ayant aucune expertise particulière sur les questions sociétales, je ne m’aventurerai pas à commenter les nombreux livres que les névrosés de la grandeur perdue publient à chaque rentrée littéraire autrement que sous l’angle économique. 

C’est bien connu, la France a un modèle économique dépassé, fondé sur l’interventionnisme d’Etat et des dépenses publiques impliquant soit des impôts étouffants, soit une dette insoutenable. Cette vision est tellement bien ancrée dans les esprits qu’on peut aujourd’hui écrire dans tous les quotidiens nationaux qu’il faut ramener le niveau de la dépense publique à tout prix au niveau de celle de nos voisins les moins « dépensiers » sans que personne n’ose émettre un doute. De même, il faut sans plus tarder entreprendre les réformes structurelles nécessaires à la libération des forces vives de la Nation, sans quoi notre pays s’enlisera plus profondément encore dans le déclin. 

La science économique, et les théoriciens de la croissance plus particulièrement, étudient les déterminants du développement et de la croissance. Ces déterminants ne sont pas les mêmes lorsqu’on considère les pays développés et les autres. Et en effet, pour un pays en voie de développement les données suggèrent que la stabilité politique, l’ouverture commerciale, des institutions juridiques protectrices des intérêts privés et une forte épargne nationale (privée ou publique) permettent l’accumulation de capital (machines, outils, routes, bâtiments…) nécessaire à l’accroissement de la productivité des travailleurs, ainsi que l’importation de technologies - au sens large, cela comprend les modes d’organisation - menant à une utilisation des facteurs de production la plus optimale possible. Concrètement, ces économies « rattrapent » la productivité horaire des travailleurs des pays développés en accumulant du capital et en imitant les procédés. 

Pour un pays développé, dont on dit qu’il est « à la frontière technologique », et pour lequel la productivité d’une unité supplémentaire de capital est nulle, il ne sert à rien d’épargner plus que l’investissement nécessaire au remplacement du capital se dépréciant, et éventuellement à l’absorption des gains de population active. De même, les gains à l’ouverture commerciale se font de plus en plus rares, celle-ci ne permettant que la diffusion plus rapide des nouvelles technologies : dans la nouvelle économie internationale (une branche de la science économique), les gains à la spécialisation sont assez faibles à cause de l’hétérogénéité des préférences. De fait on constate que l’essentiel des échanges entre pays développés porte sur des biens assez similaires (la France exporte et importe énormement de voitures). 

Cette difficulté à identifier les facteurs de réussite laisse la part belle à l’imagination et aux préjugés. Dans le logiciel de beaucoup de commentateurs de l’actualité économique, il semblerait qu’il soit impossible d’imaginer qu’un pays aussi peu flexible que la France - ce que je ne conteste pas - puisse faire jeu égal avec ses voisins. Mais si la France avait une économie aussi sclérosée qu’on le dit, cela devrait bien finir par se voir dans les indicateurs macroéconomiques. Or ce n’est clairement pas le cas. 

Les deux graphiques ci-dessous étudient la croissance du PIB (en parité de pouvoir d’achat) par habitant en âge de travailler (15-64 ans), ce nous donne une mesure de la production par habitant qui n’est pas trop perturbée par la démographie. Ce n’est pas non plus exactement la productivité par emploi, car un pays à l’économie « sclérosée » comme la France tend à tenir les adultes en âge de travailler les moins productifs hors de l’emploi, ce qui biaiserait notre étude. 

Le premier graphique donne l’évolution moyenne de cet indicateur pendant la crise. On s’aperçoit que la France se situe pile au milieu du lot, avec un PIB par personne en âge de travailler en 2013 égal à celui de 2007. Les pays n’ayant pas retrouvé leur richesse par habitant d’avant la crise sont notamment le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Canada, les Pays-Bas et la Finlande (combien d’entre vous auraient parié à tort que ces pays s’en sortaient mieux que la France?).

Le deuxième graphique donne le taux de croissance de cet indicateur par pays de 1990 à 2007, soit un cycle économique complet au cours duquel les pays de l’OCDE ont connu au moins deux épisodes récessifs avant de rebondir, en fonction de son niveau en 1990. On s’attend à ce que la plupart des pays se trouvent soit dans le cadran nord-ouest, celui des pays les moins développés en 1990 et ayant connu une croissance plus importante que la moyenne, soit dans le cadran sud-est, celui des pays plus développés, à la frontière technologique, et ayant cru à une vitesse moindre. On constate qu’il y a des points aberrants, comme la Norvège et le Luxembourg, qui étaient déjà plus riches que la moyenne en 1990 mais ont continué de croître, ou la Grèce, le Portugal et la République Tchèque qui sont dans le cas inverses. Mais a part ces pays-là, et compte tenu de la marge d’erreur sur le calcul des parités pouvoir d’achat, la relation linéaire est assez directe. 


Si on s’intéresse au cas de la France, on constate qu’elle a cru au cours de cette période à la même vitesse que l’Autriche la Suède, le Canada, la Belgique et les Etats-Unis, légèrement moins vite que l’Allemagne et légèrement plus vite que l’Italie. Le Royaume-Uni a cru plus vite mais partait de plus bas (et a connu un fort boom dans les années 2000), le Japon a cru moins vite mais partait de plus haut. Le premier enseignement, c’est que la France a cru à la même vitesse que des pays qui étaient tous déjà plus riches par adulte qu’elle en 1990. Sur une période aussi longue, au cours de laquelle les cycles économiques étaient assez synchrones, seuls des facteurs structurels peuvent expliquer le manque de rattrapage de la France. 

Mais un manque de rattrapage n’est pas un déclin. De fait, c’est chose connue que la France connaît un taux d’emplois des 15-64 ans assez faible, ce qui mécaniquement se traduit, à productivité identique, par un PIB par habitant plus faible. Cependant la thèse des déclinistes n’est pas seulement que la France produit moins de valeur ajoutée que ses voisins, ce que personne ne nie, mais que l’écart se creuse, ce qui n’est pas le cas. 

Alors pourquoi cet écart ne s’est-il pas résorbé ? L’explication des taux d’activité est la plus probable. Le côté « sclérosé » de l’économie française se traduit par un plus faible emploi des seniors - qui sont encouragés à partir plus tôt qu’ailleurs à la retraite - et un plus faible emploi des 15-24 ans - qui n’ont pas besoin de travailler pour payer leurs études. Le taux d’emploi des 25-54 ans en France est en revanche assez élevé, ce qui compense seulement partiellement la sous-activité des jeunes et des seniors. On notera que même parmi les actifs, le nombre important de chômeurs est compensé par un nombre de temps partiels faible en comparaison des autres pays. Finalement, tout se passe comme si les Français avaient collectivement choisi de moins travailler, ce qui pèse sur le revenu par tête, mais que leur productivité augmente comme celle des autres pays, ce qui maintient les écarts constants. 

Les Français font peut-être une erreur de moins travailler en moyenne sur toute une vie, je n’en sais rien, mais celui qui l’affirmera (ou affirmera le contraire) ne fait pas de sciences sociales, il utilise des arguments en général politiques (tel groupe ne veut plus financer tel autre groupe) et/ou moralistes (vouloir se reposer est un péché en soi). Faut-il décourager la solidatité inter-générationnelle ou rendre les études si chères que les étudiants devraient travailler pour les financer ? Faut-il repousser l’âge légal de départ à la retraite ? Faut-il maintenir les taux d’emplois des seniors et des étudiants à leurs niveaux actuels mais compenser par un travail plus intensifs chez les 25-54 ans ? Comment le financement des retraites est-il assuré, et quel groupe (retraités actuels, imminents, futurs) faut-il pénaliser pour rétablir l’équilibre ? Ce serait mentir que prétendre qu’il existe une réponse optimale et dénuée de jugement moral. 

mardi 18 novembre 2014

Le problème allemand

Navré pour la fréquence de publication réduite ces derniers temps, des obligations professionnelles se sont accumulées. Elles sont toujours nombreuses, l'article d'aujourd'hui n'est qu'une revue de blogs. 

Beaucoup de commentateurs (Simon Wren-Lewis, Antonio Fatas, ou moi-même) restent perplexes devant l'incapacité des élites allemandes à percevoir le problème des déséquilibres macroéconomiques européens de la même façon que la plupart des économistes universitaires. Rarement dans l'histoire des sciences sociales n'ont les décideurs autant été sourds aux interprétations, certes parfois contestables mais souvent fondées, des chercheurs ayant consacré leur carrière à l'étude de ces phénomènes. Ce qui est particulièrement frustrant c'est qu'il ne semble pas que la source de cette surdité soit les intérêts financiers, le lobbying privé ou l'égoïsme nationaliste car il n'y a aucune raison de penser (à moins d'être germanophobe) que ces facteurs prévalent en Allemagne plus qu'ailleurs. 

Il faut donc se retourner vers l'histoire, et un article récent de Wolfgang Münchau dans le Financial Times offre un début de réponse. Il reste à savoir pourquoi la communauté économique allemande est à ce point isolée du reste du monde, ou pourquoi, si elle ne l'est pas, elle semble n'avoir aucune prise sur le débat. Je n'ai jamais apprécié les explications à base de "facteurs culturels", qui servent souvent à maquiller l'ignorance et les préjugés par de la pseudo-science, mais il faut bien reconnaître parfois qu'il doit bien y avoir des causes plus profondes. L'article est ici


lundi 27 octobre 2014

Sapin révise les hypothèses pour se conformer au Pacte de Stabilité

Contrairement à ce que les titres de presse indiquent, aucune nouvelle mesure de réduction du déficit n'a été annoncée, seulement une révision des hypothèses qui déterminent le budget. Finalement, c'était la meilleure chose à faire pour éviter d'introduire de la pro-cyclicité dans la règle budgétaire, et permettre à nos partenaires européens de valider le budget sans décrédibiliser le Pacte de Stabilité. 

Mais on se demande quand même pourquoi le gouvernement a choisi de réviser à la baisse la croissance potentielle entre avril et octobre (lien). Sans cette révision, on aurait pu éviter tout ce psychodrame. 


vendredi 24 octobre 2014

Sondage: effet redistributif des politiques publiques

Dans ce sondage, on vous demande de classer suivant un axe gauche/droite les différentes réformes proposées, selon leur impact sur le pouvoir d'achat des différents ménages (aisés, démunis, classe moyenne...). Cela ne tient évidemment pas compte d'autres dimensions. 

Le but est de vérifier s'il y a un lien entre volonté de redistribution et positionnement gauche/droite, et si oui lequel? 


Les résultats seront analysés ici plus tard. Ce sondage n'ambitionne nullement d'être représentatif, vous pouvez le transférer à vos amis. 





vendredi 17 octobre 2014

The single most powerful argument for granting an extension to France and Italy


"To summarize it, here is what it says:
  1. A recession triggers a reduction of the potential growth rate  (the maximum rate at which the economy can grow without overheating) because ofhysteresis: unemployed workers lose skills and/or exit the labour market, and firms scrap productive processes and postpone investment. I would add to this that hysteresis is non linear: the effect, for example on labour market participation, of a slowdown, is much larger if it happens at the fifth year of the crisis than at the first one.
  2. According to the Commission’s own estimates Italy’s potential growth rate dropped from 1.4% on average in the 15 years prior to the crisis (very low for even European standards), to an average of -0.2% between 2008 and 2013. A very large drop indeed.
  3. (Here it becomes interesting). The box in the Italian plan argues that we have two possible cases:
    1. Either the extent of the drop is over-estimated, most probably as the result of the statistical techniques the Commission uses to estimate the potential. But, if potential growth is larger than estimated, then the output gap, the difference between actual and potential growth is also larger.
    2. As an alternative, the estimated drop is correct, but this means that Italy there is a huge hysteresis effect. A recession is not only, as we can see every day, costly in the short run; but, even more worryingly, it quickly disrupts the economic structure of the country, thus hampering its capacity to grow in the medium and long run.
The box does not say it explicitly (it remains an official government document after all), but the conclusion is obvious: either way the Commission had it wrong. If case A is true, then the stagnation we observed in the past few years was not structural but cyclical. This means that the Italian deficit was mainly cyclical (due to the large output gap), and as such did (and does) not need to be curbed. The best way to reabsorb cyclical deficit is to restart growth, through temporary support to aggregate demand. If case B is true, then insisting on fiscal consolidation since 2011 was borderline criminal. When a crisis risks quickly disrupting the long run potential of the economy, then it is a duty of the government to do whatever it takes to fight, in order to avoid that it becomes structural."

I'm sure Commission economists know that, but their bosses?

mercredi 15 octobre 2014

De la souplesse des règles budgétaires européennes

J'ai déjà expliqué ici pourquoi les règles budgétaires européennes sont beaucoup plus souples qu'on ne le pense. Elles sont conçues pour éviter la pro-cyclicité, et le calcul de l'effort structurel repose sur des hypothèses de croissance potentielle qui ont vocation à être stables dans le temps.

À cette lumière il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement cherche l'affrontement avec la Commission, puisqu'il aurait été tout aussi simple de ne pas réviser à la baisse la croissance potentielle pour faire apparaître un effort structurel acceptable pour Bruxelles.

Le seul résultat est de faire voler en éclat ces règles budgétaires, qui, si on les maîtrise, sont pourtant assez souples en période de crise pour permettre à l'Etat de jouer son rôle stabilisateur, et assez contraignantes en période faste pour forcer le gouvernement à réduire sa dette en prévision de la prochaine crise. 

Voilà l'article que je souhaitais écrire aujourd'hui, mais Xavier Timbeau m'a devancé ici. Extraits :
"(...)

C’est ici que le projet de budget 2015 matérialise l’infraction au traité. L’effort en 2014 n’est plus que de 0,1 point et est annoncé à 0,2 point en 2015. Ces chiffres sont ainsi inacceptables par la Commission. Comment expliquer cette modification provocatrice ? Plusieurs éléments y concourent. Le premier est une modification de la norme de comptabilisation du CICE qui conduit à inscrire en 2015 les dépenses générées en 2015 et payées en 2016. Au moment où le CICE monte en charge, c’est 0,2 point de PIB en moins dans l’effort budgétaire français. Le second est une modification de l’hypothèse de croissance potentielle. Au lieu de 1,5% de croissance potentielle dans le programme de stabilité 2014-2017, celle-ci est supposée être de 1,2% sur la période 2014- 2017. A méthode constante, l’effort en 2014 aurait été de 0,5 point du PIB et de 0,6 point en 2015. La différence avec le programme de stabilité d’avril 2014 s’explique par la révision à la baisse de l’inflation et par quelques modifications sur les mesures. La nouvelle présentation du même budget, avec une modification marginale du contexte économique, est celle d’une absence d’effort structurel. Non seulement l’objectif nominal ne sera pas atteint, mais en plus l’effort structurel de 2014 et de 2015 est abandonné. Et ce, à politique inchangée ! Pire, ce projet de budget laisse entendre que l’objectif nominal n’est pas atteint parce que l’effort structurel n’a pas été réalisé en 2014 et ne le sera pas en 2015.

Pourtant le gouvernement plaide les circonstances exceptionnelles. Pourquoi avoir modifié les hypothèses de croissance potentielle et n’avoir pas conservé la norme comptable antérieure pour présenter le projet de budget français 2015 ? Un effort de 0,6 point du PIB en 2015 au lieu d’un effort précédemment annoncé de 0,8 point du PIB n’aurait pas posé de problème à la Commission, qui aurait relevé des hypothèses trop hautes de croissance potentielle (comme d’ailleurs dans ses remarques sur le projet de budget 2014, que le Conseil n’a pas retenu en novembre 2013). Il aurait été simple de répondre que l’on ne change pas des hypothèses de croissance potentielle tous les 6 mois et que c’est d’ailleurs l’objet de ce concept et la raison de son introduction dans les traités et les règles européennes : éviter la pro-cyclicité des politiques budgétaires, éviter de faire plus de restriction budgétaire au moment où les mauvaises nouvelles s’amoncellent. Il aurait été acquis que la Commission a une appréciation plus basse que la France, mais la croissance potentielle est non observée et son évaluation repose sur de nombreuses hypothèses. Ainsi, il n’est pas précisé dans les traités ou les règlements si l’on considère une croissance potentielle à court terme ou à moyen terme. Or la Commission estime (dans le 2012 Ageing Report) que la croissance potentielle à moyen terme de la France est de 1,7% par an (en moyenne de 2010 à 2060) et de 1,4% en 2015. Et surtout, rien n’oblige la France à adopter l’hypothèse de la Commission. Le règlement EU 473/2011 demande que les hypothèses soient explicitées et qu’éventuellement des opinions extérieures soient demandées. 
(...)
Il est impossible de justifier la présentation faite : la Commission réprimandera la France, qui ne réagira pas, sûre de son droit (et comme l’a déjà annoncé son gouvernement). La Commission devra alors monter l’échelle des sanctions et il est peu probable que le Conseil l’arrête en route, d’autant que les décisions y seront prises à la majorité qualifiée inversée. Le French bashing prendra un nouveau tour et ceci ne fera apparaître que l’inutilité du processus, puisque la France ne changera rien à sa trajectoire de finances publiques. Cela dépréciera la parole et l’influence française au moment où s’élabore l’initiative d’un plan d’investissement de 300 milliards d’euros qui n’est voulu que par la France et la Pologne (d’après la rumeur), au risque de faire capoter une des rares initiatives qui pouvait nous faire sortir de la crise.

(...)

La France pourrait revoir son projet de budget et ajouter des mesures, qui dans la nouvelle méthode comptable et avec une hypothèse plus basse de potentiel, lui permettent de tenir son engagement d’effort structurel d’avril 2014. Ce scénario est très improbable et c’est une bonne chose (voir le post d’Henri Sterdyniak). Improbable, parce que les presque 2 points de TVA à taux plein nécessaires pour arriver à un effort de 0,8% du PIB (et donc sans compenser le retard pris en 2014) ne seraient pas votés par le Parlement français. Bonne chose, parce qu’ils auraient induit une récession (ou un sérieux ralentissement) en France et une montée du chômage totalement inacceptables pour simplement sauver la face de la Commission et appliquer avec diligence les textes européens.

Il aurait été bien plus habile de s’en tenir aux hypothèses (et méthodes) du programme de stabilité 2014. Le Haut Conseil aurait protesté, la Commission aurait querellé mais les règles de la gouvernance européenne auraient été sauves. On dit que les statistiques sont la forme la plus avancée du mensonge. Entre deux mensonges, autant choisir le moins stupide."

mardi 14 octobre 2014

Micro, macro : pas pareil

C'est tellement différent qu'obtenir un Prix Nobel dans l'un n'empêche pas de dire des bêtises sur l'autre :

"Pour l'instant, on a eu la chance de payer des taux d'intérêt extrêmement faibles, mais si les marchés commencent à douter de la France, les taux d'intérêt vont augmenter très vite et la charge de la dette va devenir très lourde", a-t-il notamment expliqué."
Les marchés des titres, pour les nuls: il y a deux types d'actifs, les dettes publiques à long terme et faible rendement, les obligations/actions privées à court terme et fort rendement. 

Si la demande s'effondre, les entreprises investissent moins, ce qui limite la demande de crédit. Les titres privés à bon rendement se raréfient, et les agents placent leur épargne dans de la dette publique à long terme en attendant des jours meilleurs, ce qui réduit le taux d'intérêt de la dette publique. Ce phénomène peut être renforcé par l'asymétrie d'information et la hausse de l'aversion au risque, ce qui réduit l'offre de crédit aux entreprises, et pousse les agents à préférer les bas de laine, et les banques à ne plus se faire mutuellement confiance. Donc première conclusion, il y a rationnement du crédit, via l'offre et via la demande. Deuxième conclusion les taux sur la dette baissent. 

La banque centrale va ensuite essayer de baisser les taux d'intérêt pour relancer la demande d'investissement des entreprises : si cela ne coûte pas cher de le financer, ça vaut peut être le coût de construire le deuxième entrepôt. Pour y parvenir elle va prêter à des taux très bas aux banques, ce qui leur permettra d'augmenter leur exposition à des actifs risqués et de court terme sans craindre de se retrouver à court de liquidité, ce qui a le mérite de jouer simultanément sur l'offre et la demande de crédit. 

Mais plusieurs contraintes pèsent sur l'action de la banque centrale. D'abord les taux d'intérêt peuvent ne jamais être assez bas pour relancer l'investissement. Auquel cas les banques ne trouvent pas de projet à financer, les liquidités offertes par la banque centrale ne sont jamais utilisées et l'épargne nationale reste investie en dette publique. 

Une solution possible est que la banque centrale prête directement, sans la marge des banques, de grosses sommes aux entreprises. La réussite de ce plan dépend de la structure du financement des entreprises : si elles émettent beaucoup d'obligations, il y a des actifs à acheter. Sinon, c'est difficile de se passer de l'intermédiaire bancaire. Une autre solution, c'est d'acheter tous les titres de dette publique, ce qui réduit encore plus son rendement, qui devient équivalent à celui de la monnaie. Cela donne une grosse incitation aux agents de financer les entreprises à bas coût, voir à taux réel négatif si l'inflation est non nulle. À un moment, il est probable que l'investissement reparte, mais cela peut nécessiter une augmentation considérable du bilan de la banque centrale. 

Enfin, la banque centrale agit en général comme prêteur de dernier recours, ce qui permet de rendre la dette publique très liquide, car on trouvera toujours un acheteur. 

Voilà le cadre d'analyse macro qui permet de réfléchir sur ce sujet. 

Pour que la menace de Tirole soit possible, il faut prendre en compte la structure particulière des dettes publiques en Europe. Un agent économique à le choix entre plusieurs titres de dette, classés par rendement selon leurs primes de risque respectives. Avec une seule dette, il n'y a pas le choix, il faut que l'argent aille quelque part. Avec plusieurs dettes, la substitution de l'une par l'autre est possible. C'est pourquoi une forte hausse de taux est possible en Europe, mais impossible aux USA (1). 

Dans la zone euro, les rendements à 10 ans s'étalent de 0,89% pour la dette allemande à 6,71% pour la dette grecque. La dette française est à 1,26%. Il est donc théoriquement possible que la dette française se retrouve en queue de peloton des dettes publiques européennes. Mais les fondamentaux économiques en France sont meilleurs que dans la majorité des pays européens, c'est un des rares pays à avoir dépassé le pic de PIB pré crise, et même avec un déficit un peu au dessus de la moyenne, personne ne doute de la capacité de la France à le réduire si nécessaire, puisqu'elle y est parvenue sans trop d'effort de 2009 à 2013. Et puis surtout, les circonstances qui conduiraient la France à s'effondrer au point qu'on puisse douter de sa capacité à rembourser sa dette sont des circonstances où le reste de la zone euro est entraînée avec elle. En somme, il y a peu de chance que le classement des risques souverains change radicalement, les pays européens sont enchaînés les uns aux autres, et la France est au milieu.  

En outre il y a d'autres raisons de critiquer la menace de Tirole. 

D'abord il ne précise pas d'où doit venir l'attaque. Si la dette française est abandonnée au profit d'un actif en devise, cela ne conduira à rien d'autre que la baisse de l'euro, ce qui serait considéré comme une bonne nouvelle pour l'économie européenne, et française en particulier compte tenu de la forte élasticité au taux de change de ses exportations. 

Ensuite, il néglige complètement l'action de la BCE (c'est courant chez les microéconomistes d'ignorer la politique monétaire, et plus généralement de raisonner en équilibre partiel). Comme on l'a vu ci-dessus, la politique monétaire tend à réduire encore plus la moyenne des taux souverains, et à réduire la dispersion autour de la moyenne via le rôle de prêteur de dernier recours. Donc même si la France se retrouve par magie en queue de peloton, ça ne sera pas très loin de la moyenne, et les taux n'exploseront pas. 

Bref, la prédiction de Tirole ne peut se réaliser que sous trois conditions :

1) La dette française devient magiquement la plus risquée d'Europe sans aggraver la crise dans le reste de la zone euro. 

2) La banque centrale abandonne son rôle de prêteur de dernier recours.

3) La hausse des taux est suffisante pour augmenter le déficit de façon insoutenable au point que le risque de défaut devient possible et tentant. Ce qui est tordu pour un État en déficit primaire, qui devra se financer par la dette même après un défaut. 

4) Les investisseurs se convainquent simultanément de 1, 2 et 3 et vendent avant que le défaut n'arrive, ce qui le provoque. 

Je ne dis pas que c'est rigoureusement impossible. Mais bon. 

(1) : et c'est pourquoi la fin du QE ne se traduit pas par une hausse forte des taux souverains aux USA. 








mardi 7 octobre 2014

La croissance est-elle l'ennemie du climat? (Épisode 3)

Update : la discussion se poursuit en commentaire. 

Pour résumer, le système économique interagit avec la nature lorsqu’il utilise les ressources naturelles et émet des déchets. On peut ramener le cas des déchets à l’utilisation d’une ressource naturelle (l’eau propre, l’air non saturé en CO2, la terre sans déchets radioactifs…), ce qui nous conduit à l’équation d’évolution du stock d’une ressource R donnée :

Rt+1 = Rt - ut.Yt + J

Où Y est le PIB, J le renouvellement de R (peut dépendre de R, mais en général non), et u le taux auquel la ressource R est utilisée pour produire Y.

A long terme, Y croît au rythme de la population et du progrès technique. Pour éviter que le stock de ressources ne diminue drastiquement, il faut d’abord réussir à ce que l’utilisation soit inférieure au renouvellement lors d’une période T donnée, si possible proche dans le temps: uT .YT < J.

A partir de cette période T, le PIB mondial peut croître, à condition que le taux d’utilisation des ressources naturelles diminue d’autant. Cela n’est possible que par l’innovation technologique, ou la substitution d’une ressource naturelle par une autre qui se renouvelle plus vite.

Dans la réalité, que se passe-t-il ? Le graphique 1 montre l’évolution depuis 1990 du PIB et des émissions de CO2 par tête, des émissions totales, et le ratio u appliqué à la ressource naturelle « air propre », c’est-à-dire l’utilisation de l’air (=les émissions de CO2) sur le PIB.




On constate que bien que le PIB/hab (en standard de pouvoir d’achat) a été multiplié par presque 2.5 en 20 ans, les émissions par tête n’ont augmenté que de 14%. Les émissions totales ont en revanche augmenté de 50% car la population a augmenté. L’intensité avec laquelle la ressource « air propre » est utilisée pour créer de la valeur a quant à elle été divisée par deux. Cela montre bien qu’il peut y avoir création de richesse sans nécessairement utiliser plus de ressources. L’augmentation totale des émissions est pour 2/3 liée à l’augmentation de la population, et pour 1/3 liée à l’augmentation des émissions par tête, qui seules peuvent être reliées à la croissance du PIB par tête.

Dans le graphique 2 ci-dessous, qui compare pour tous les pays du monde leur contribution au taux de croissance mondial des émissions et leur contribution au taux de croissance mondial du PIB en services, on voit d'ailleurs qu’il n’y a aucun lien entre cette création de richesse et les causes du réchauffement climatique. En revanche, même pour les pays de l’OCDE, il existe toujours un lien fort entre le taux de croissance du PIB total et les émissions (graphique 3) qui s’explique par le fait qu’une part non négligeable de la croissance des pays de l’OCDE provient encore de l’augmentation de la production industrielle.




Il ne faut donc pas s’opposer à la croissance du PIB en elle-même, mais au maintien du statu quo qui exige d'abord que la production industrielle soit intensive en ressources naturelles très peu renouvelables comme l’air qui nous entoure et le pétrole sous nos pieds, et ensuite que l'essentiel de la création de richesse au niveau mondial provienne de cette production industrielle. Il faut réduire cette intensité car il sera difficile de s’opposer à la croissance des pays en développement, qui passera probablement du primaire (agriculture) au secondaire (industrie) avant de se tertiariser, mais cela ne signifie pas non plus la fin de la croissance dans les pays développés. En effet, la croissance totale dans un pays comme la France provient de la croissance du volume de la production industrielle et de la croissance du volume des services, chacun pondéré par leurs prix respectifs. Comme le prix des biens industriels baisse tendanciellement, une part de plus en plus importante de la croissance provient des services, et le revenu national sera déconnecté du volume de la production industrielle. Le débat qui oppose croissance et climat a donc vocation à s’éteindre. 


En revanche, le premier graphique montre bien que la transition énergétique n’est pas acquise, que même si la croissance du PIB est de plus en plus déconnectée des émissions, ces dernières augmentent toujours, loin de l’objectif de division par deux d’ici 2050 nécessaire pour ralentir le réchauffement climatique. Si les politiques décident de continuer à jouer la montre, il est probable que la transition soit trop lente pour éviter la catastrophe. Le but de cette trilogie étant d'expliquer qu'il est erroné de présenter le problème comme un choix entre notre niveau de développement et la sauvegarde de la planète, ce que beaucoup de décroissants et de climato-sceptiques pensent. 

Francesco Saraceno on European Policy Makers


"This is terrible for European policy makers. They completely lost control over their discourse, whose inconsistency is constantly exposed whenever they speak publicly. I just had a first hand example yesterday, listening at the speech of French Finance Minister Michel Sapin at the Columbia Center for Global Governance conference on the role of the State (more on that in the near future): he was able to argue, in the time span of 4-5 minutes, that (a) the problem is aggregate demand, and that (b) France is doing the right thing as witnessed by the halving of structural deficits since 2012. How (a) can go with (b), was left for the startled audience to figure out.
Terrible for European policy makers, I said. But maybe not for the European economy. Who knows, this blatant contradiction may sometimes lead to adapting the discourse, and to advocate solutions to the deflationary threat that are consistent with the post Jackson Hole consensus. Maybe. Or maybe not."

mardi 30 septembre 2014

La croissance est-elle l'ennemie du climat? (Épisode 2)

On a vu dans le premier épisode que la première partie de cet article du Monde ne rendait pas honneur à la qualité du débat sur le coût de la transition écologique. Mais la deuxième partie, et plus particulièrement le paragraphe suivant, souligne l’incompréhension totale qui règne quand il s’agit de croissance économique :
"Le noeud du désaccord tient à la nature même de l'économie. Deux visions, en somme, s'opposent. Une vision de physicien, dans laquelle le système économique est une sorte de machine rigide qui, adjuvée par l'ingéniosité humaine, transforme en richesses des flux de matières et d'énergies. Dans cette vision « physicienne », la principale souplesse du système face à la réduction des flux de matières et d'énergie est l'excès d'endettement. Dans un article publié en janvier 2012 par Nature, James Murray (un océanographe) et David King (un chimiste) voyaient par exemple la crise de la zone euro comme une conséquence économique de la raréfaction du pétrole conventionnel – dont le pic de production a été franchi en 2005.
La vision des économistes mainstream est différente. Elle envisage plutôt le système économique comme une machine souple, plastique, qui peut voir son apport de matière et d'énergie modifié, sans conséquences dramatiques sur la richesse produite en définitive. Et, de fait, la notion même de richesse repose aussi sur des croyances collectives déconnectées de la réalité matérielle du monde.
Laquelle de ces deux visions concurrentes est-elle celle qui décrit le mieux les choses ? On se gardera bien d'être assez fat pour trancher. L'avenir s'en chargera bien assez tôt."
Au sujet de l’articulation entre croissance économique et énergie, il y a effectivement un malentendu entre les physiciens (au sens large) et les économistes. Ce n’est en revanche pas un débat, il n’y a pas d’échanges d’arguments dans la mesure où le paradigme de réflexion n’est pas le même, et n’a de toute manière pas vocation à être le même. La France ayant une forte tradition d’ingénieurs plus que d’économistes, on y voit souvent des scientifiques raisonner sur le fonctionnement de l’économie, et juger « les économistes » comme une population vendue à l’ultra-libéralisme financier donc indigne d’intérêt. La tribune de Krugman citée par le Monde résume très bien ce problème :

“And you sometimes see hard scientists making arguments along the same lines, largely (I think) because they don’t understand what economic growth means. They think of it as a crude, physical thing, a matter simply of producing more stuff, and don’t take into account the many choices — about what to consume, about which technologies to use — that go into producing a dollar’s worth of GDP”

Beaucoup de physiciens dont l’expertise scientifique est de grande valeur disent n’importe quoi sur l’économie. Les deux scientifiques cités par le Monde ne font pas exception. Leur article dans Nature est très intéressant quand il reste dans le domaine de l’évaluation des réserves restantes de pétrole et de gaz naturel, et leur expertise est utile pour déterminer non seulement la quantité de gaz et de pétrole restant sur la planète, mais également le coût pour y accéder. En revanche, l’article part dans le décor dès qu’il s’aventure sur le terrain de la macroéconomie, justifiant l’augmentation du déficit commercial italien dans les années 2000 par l’avènement du Peak Oil, et en prétendant que l’augmentation des prix du pétrole a joué un rôle majeur dans la crise de la zone euro. Les arguments contre la thèse du Peak Oil comme cause de la crise de l’euro sont inombrables : Pourquoi seulement la zone euro ? Comment expliquer les divergences de balance commerciale entre Italie et Allemagne ? Pourquoi tout ne va pas mieux maintenant que le prix du pétrole a retrouvé son niveau tendanciel ? Si c’est bien un choc pétrolier qui explique la crise, où est l’inflation ?

En vérité, les deux paradigmes ne devraient pas s’opposer car ils ne sont pas incompatibles. D’un côté, on peut étudier l’activité humaine et son impact sur l’environnement. Pour cela, il est utile d’adopter un raisonnement de physicien, de définir le système étudié, d’appliquer les lois de conservation de l’énergie… Si cette étude conclut que la trajectoire des émissions de CO2 est insoutenable, et qu’à défaut de l’infléchir l’humanité encourt des risques intolérables, il n’y absolument rien à redire. Le raisonnement économique en revanche consiste à étudier le système de création de valeur économique, à ressources données. Ce n’est pas un raisonnement énergétique, la création de valeur économique est subjective et changeante selon les préférences des agents. Les ressources qui servent « d’input », pour reprendre la terminologie physicienne, sont bien évidemment les ressources naturelles au sens très large (une plage est une ressource naturelle utile à la création de valeur économique dans le secteur du tourisme), mais également le potentiel de temps de travail humain et le capital productif. 

L’économiste ne porte aucun jugement sur la quantité de ressources disponibles. Les ressources naturelles N et le temps de travail L sont des grandeurs exogènes, et avec le capital disponibles K à la fin de la période précédente, sont le point de départ de l’analyse économique. Selon la répartition de la propriété de ces inputs dans la population, et les préférences de chacun, des échanges ont lieu jusqu’à l’équilibre macroéconomique. Chacun de ces échanges est « créateur de valeur » puisque ceux qui y participent y trouvent leur compte. Le PIB produit pendant cette période est la somme des valeurs créées par ces échanges, mesurées en euros constants. Cela détermine pour la période suivante le nouveau stock de capital disponible, et ainsi de suite.

Si la quantité de ressources naturelles disponible est limitée par la physique, cela ne veut pas dire que le nombre d’échanges est limité. Le rationnement profitera à celui qui détient la ressource au début de la période. C’est pourquoi les économistes tentent de mieux définir les droits de propriété liés à la ressource naturelle « litre d’atmosphère sans CO2 » (notée J) disponible dans la nature, une ressource naturelle dont la quantité doit être limitée. On peut attribuer cette propriété à un Etat supranational, auquel les producteurs diminuant J paient un droit d’utilisation jusqu’à une certaine limite, au-delà de laquelle la société ne leur reconnaît plus la propriété de J, et dont l’excès d’utilisation est puni de prison comme n’importe quel vol.

C’est la logique derrière les droits à polluer, et le théorème de Coase : la ressource J sera utilisée par les producteurs dont l’utilité publique (dépendante des préférences des gens) sera la plus élevée. Par exemple, si on a très peu d’atmosphère à allouer à la production de biens polluants, et que les biens polluants qu’on préfère sont les iPhones, on sera prêt à payer suffisamment pour nos iPhones pour qu’Apple puisse acheter une bonne partie de l’atmosphère disponible. Beaucoup de problèmes peuvent être ramenés à une question de droits de propriété a priori, dont la définition est loin d’être neutre sur la distribution des richesses a posteriori. Par exemple, l’héritage est une définition institutionnelle de ce qu’il arrive aux droits de propriété d’une personne décédée, et la façon dont les lois sur l’héritage sont conçues changent la dynamique des échanges au sein de la société.

Enfin, le rationnement d’une ressource sans innovation technologique permettant de s’en passer limite la production des biens et services utilisant cette ressource. Mais si la structure des échanges change, ou que le taux d’utilisation de cette ressource diminue, cela ne pose aucune limite à la création de valeurs, et la croissance infinie dans un monde fini est tout à fait possible. Mais il y a un gros travail institutionnel à fournir pour créer les bonnes incitations, pour définir le prix que nous sommes prêts à collectivement mettre sur les droits d’utilisation de notre environnement, et la théorie économique montre que cela ne peut être fait qu’à l’échelon de l’Etat.








Deutsche Ökonomen

"The ECB says these unorthodox measures are needed to combat looming deflation. Given that prices are still rising (albeit slowly – core inflation stands at 0.9 per cent) this seems little more than a fig leaf. Anyway, deflation is not a danger for southern Europe but an essential precondition for restoring competitiveness. This is nothing less than a fiscal bailout – something the ECB has no right to undertake, as the German constitutional court implied when it declared OMT unlawful."
Competitiveness in Southern Europe is a function of the gap between inflation there and inflation here, it is defined in relative, not absolute, terms. And I don't know what to answer to "prices are still rising, so there is no deflation risk". A first-year economics student would get a failing grade for saying that. 

I really don't get it. Is there a entirely different economic literature in Germany? Do they have completely different models we have not been told about? And this guy is not some obscure economist in a remote university, he's been ranked number one economist in Germany by RP online.

lundi 29 septembre 2014

La croissance est-elle l'ennemie du climat? (Épisode 1)

Cet article du Monde tente très maladroitement de résumer une passe d’armes entre Paul Krugman, le Nobel d’économie éditorialiste au NY Times, et Richard Heinberg, du Post Carbon Institute, auteur notamment d’un livre intitulé « The End of Growth ».

Dans sa tribune, Krugman s’appuie sur deux études récentes, une du New Climate Economy Project (organisation prônant une croissance équilibrée dont les équipes de recherche sont partenaires de la London School of Economics, de l’université Tsinghua, de l’institut de l’environnement de Stockholm…) et une autre du Fonds Monétaire International, pour soutenir que la réduction des émissions de carbone ne se ferait pas nécessairement au détriment de la création de richesse car :

1)
   elle s'accompagnerait de bénéfices immédiats. Par exemple, la réduction d’émission de carbone réduirait les maladies respiratoires, donc réduirait les dépenses de santé et augmenterait la productivité.

2)  
   les sources alternatives d’énergie sont de plus en plus abordables, à tel point que ce serait un choc négatif d’offre quasi nul de remplacer une bonne partie de nos émissions de carbone par des énergies propres.

La logique économique derrière ceci étant que si on remplace une énergie par une autre plus chère, cela augmente les coûts de production et réduit le potentiel de l’économie : à prix de vente identique, une plus grande partie des coûts de production est dévolue au fournisseur d’énergie, au détriment de l’emploi ou des salaires, ce qui réduit le pouvoir d’achat, donc in fine la production, et l’équilibre de l’économie se déplace vers moins de production et moins de consommation. Si la marche n’est pas très haute, cela vaudrait donc le coût de la franchir. Partant de là, Krugman accuse les décroissants d’involontairement faire cause commune avec les climatosceptiques en acceptant le postulat que le climat s’oppose à la croissance. La différence étant bien sûr que les décroissants y voient un argument contre la croissance plutôt que contre le climat.

La réponse de Richard Heinberg est beaucoup moins polémique que ce que le Monde sous-entend. Tout d’abord, il commence par nuancer le propos de Krugman, en écrivant que celui-ci néglige un certains nombres de facteurs. Certes, les coûts liés aux énergies propres baissent rapidement et les bénéfices immédiats ne sont pas négligeables, mais les projections les plus optimistes montrent qu’il faudrait réduire considérablement les émissions de carbone dans les 15 prochaines années, et que nous n’avons plus le temps d’attendre que l’ajustement se fasse. Aussi, quand bien même la production d’électricité était entièrement solaire ou éolienne, il resterait encore les émissions de carbone liées aux moyens de transport, nécessaires au maintien du niveau de commerce international que nos économies spécialisées requièrent. Comme il le dit, l’avion, la voiture et le tractopelle électrique ne sont pas encore très répandus.

Je ne pense pas que Krugman se fasse l’avocat du marché. Dans sa tribune, il ne soutient pas qu’il n’est pas nécessaire de faire des efforts et que l’innovation technologique suffira à infléchir la trajectoire des émissions de carbone. Au vu de ses opinions concernant l’austérité en ces temps de crise économique, je suis même persuadé qu’il verrait d’un très bon œil un programme massif d’investissement public de l’ampleur proposée par des économistes de l’environnement comme Gaël Giraud (voir ici un résumé), financé par la collectivité. Au final, c’est à nous de décider comment on souhaite que notre économie fonctionne, et on peut préférer réaliser ces investissements vitaux mais peu rentables à court ou moyen terme, plutôt que laisser le marché décider la vitesse à laquelle ils sont réalisés. Pour cela, il suffit d’être convaincu par l’urgence du réchauffement climatique, et s’apercevoir qu’en période de crise, où l’investissement privé s’effondre et où la Banque Centrale ne parvient que difficilement à injecter des liquidités dans l’économie, maintenant est probablement le moment idéal pour agir sans générer d’inflation.

Je n’ai personnellement aucune expertise sur le degré de réduction d’émission nécessaire à une économie soutenable, je ne connais pas bien les technologies nouvelles et n’ai pas non plus la moindre idée de leur capacité à régler nos problèmes. Par conséquent, j’ai tendance à croire les scientifiques dont l’immense majorité tire la sonnette d’alarme et pense qu’il faut réduire drastiquement les émissions. En aval des physiciens et des ingénieurs, il y a des économistes qui évaluent la faisabilité des projets et leur coût pour la société. In fine, l’argument de la plupart des militants écologiques est que le coût financier quel qu’il soit est inférieur aux coûts humains et que l’abitrage est toujours en faveur du climat. L’argument de Krugman est que le coût financier baisse très rapidement, donc peu importe de quel côté de l’arbitrage on se situait hier, il y a de fortes chances qu’on soit du côté du climat aujourd’hui. Il n’est donc pas nécessaire de prôner un changement radical puisqu’en faisant cela on perd le soutien d’une partie de la population, qui certes très égoïstement ne souhaite pas changer radicalement de mode de vie. Krugman ne conteste pas le diagnostic mais critique la méthode.

La deuxième partie de ce post étudiera pourquoi les physiciens et les économistes ne se comprennent pas sur ce sujet, alors même que nombre d’entre eux sont d’accord et travaillent ensemble mais chacun à leur manière à concaincre le public de la nécessité de la transition écologique

mardi 23 septembre 2014

Une cible de déficit mouvante est meilleure

"Having a deficit target to be achieved within the next five years, where that five year period remains as time moves on (a rolling target) seems far too easy. There is never a date by which we can unambiguously say that the target has been achieved or not. It would  seem much better to have a target for a fixed date e.g. current balance by 2020.
The problem with this logic comes when we approach 2020, and some unexpected shock occurs. Rather than adjusting to that shock gradually over the next five years, adjustment has to be very rapid. This breaks the first rule of fiscal management, which is that the deficit should be a shock absorber, not a rigid target.
In fact we are used to a similar idea from monetary policy. This attempts to achieve the inflation target within the next two years or so. (In the UK this two years used to be set in stone, but less so now.) The reason often given for this is that it takes some time for changes in interest rates to have their full influence on prices, but this is only part of the story. Interest rates have some impact on prices quite quickly, so it would in principle be possible to try and meet an inflation target with a shorter time horizon, but the reason this is not attempted is that it would lead to damaging variability in interest rates and output."

Révision du déficit 2013

Aucun journaliste n'a encore pigé que le déficit 2013 a été révisé à la baisse: Insee. Seul le flash eco du figaro a lu la publication de l'Insee jusqu'au bout, mais arrive à présenter cela comme une mauvaise nouvelle, puisque selon eux, le déficit de 4,4% prévu en 2014 traduirait un "dérapage" de 0,3 au lieu de 0,2 par rapport à 2013. Très fort. Mais sûrement faux, puisque que la prévision sera probablement révisée à la baisse une fois les nouvelles données de l'Insee intégrées... 



lundi 22 septembre 2014

Update : sexe, drogue et PIB

Finalement, un effet de 3,8% sur le PIB italien, sans changement important des taux de croissance :

Pour rappel : Sexe, drogue et PIB

Les règles budgétaires européennes sont plus souples que vous le pensez.

Lors de sa prise de fonction, François Hollande a promis que son gouvernement ferait le nécessaire pour réduire le déficit public dans les délais négociés avec Bruxelles. Le retournement de la conjoncture européenne et le ralentissement de la croissance ont mis à mal ces objectifs, et la France est à nouveau dans la situation où elle doit négocier une extension de deadline puisque l’objectif de 3% en 2015 ne sera probablement pas atteint.

Cette nouvelle extension de deadline est vécue comme un échec par l’ensemble de la presse, et du public français. L’emploi répété de métaphores scolaires (la France « mauvaise élève » de l’Europe) pour décrire la honte subie en réclamant un délai supplémentaire montre bien que les Français sont un peuple fier, jaloux de son indépendance, ayant une sainte horreur de la dette (seuls les ménages italiens sont moins endettés que les ménages français) et probablement à l'enfance traumatisée par l’école. La deuxième économie de la zone euro est effectivement dans une situation politique délicate à Bruxelles, puisque les institutions européennes ont été construites en grande partie sur la capacité des Etats à décider collectivement, plutôt que sur un système fédéral dans lequel le peuple Europeén est souverain. Ainsi, celui qui demande est toujours en situation d’infériorité par rapport à celui qui accorde. La décision appartient donc à celui des Etats européens qui a le plus de poids politique à l’instant donné, au lieu d’appartenir à un échelon européen indépendant des Etats. On se retrouve dans une situation où le reste de l’Europe se permet de mettre le nez dans ce que les Français jugent être leurs affaires personnelles.

Où se situe la souveraineté est un problème qui a en partie mené à la guerre civile aux Etats-Unis, et encore aujourd’hui il est monnaie courante dans la politique américaine d’opposer le gentil Etat au méchant fonctionnaire de Washington venu imposer ses contraintes. Personne ne s’attend à ce que les choses soient différentes en Europe, il existera toujours des forces centrifuges d’autant plus que les identitées nationales et régionales européenes sont beaucoup plus anciennes. Cependant, il me semble que la contrainte venue de Bruxelles serait bien mieux acceptée si Bruxelles se comportait plus comme un arbitre, appliquant des règles sur lesquelles tout le monde s’est mis d’accord a priori, et capable de tenir tête aux Etats, aussi bien ceux réclamant une application plus stricte que la lettre de la règle, que ceux réclamant un traitement préférentiel qui n’est pas prévu par les traités.

Que ferait donc une telle organisation européenne en abordant le cas du déficit français, à la lumière des règles budgétaires du traité de Maastricht ? Pour le savoir, il faut étudier les fameuses règles sur lesquelles tous les Etats Membres se sont accordées. La logique derrière les règles budgétaires n’est pas absurde, bien que l’urgence avec lesquelles elles furent votées n’était pas justifiée économiquement. Il est erroné d’expliquer la crise européenne par l’irresponsabilité des gouvernements. Avant 2008, les dettes publiques européennes étaient relativement stables et celle de l’Espagne, un des pays européens les plus durement frappé par la crise, était en baisse. Lorsque la crise a éclaté, la croissance a ralentit, les déficits se sont creusés et la dette en % de PIB a fortement augmenté. L’histoire grecque a servi d’épouvantail, mais aucun autre pays de la zone euro n’était dans la même situation. Même en Italie, où la dette publique est très ancienne, et est compensée par un très faible endettement privé. Néanmoins, la principale responsabilité des gouvernements est de stabiliser le ratio de dette publique à long terme. Pour cela, il ne faut pas seulement le stabiliser quand la situation économique est favorable, il faut le réduire. La dette française a suivi la même trajectoire que la dette allemande dans les années 2000 alors que la situation économique était nettement plus favorable en France. On peut donc considérer que l’attitude de l’Etat français était au mieux imprudente.

Les règles budgétaires européennes sont décrites sur le site de la Commission Européenne (gouvernance budgétaire sur le site de la DG ECFIN), et sont en deux parties :

1)
   Une partie préventive, qui permet d’éviter le dérapage du déficit public avant que celui-ci n’ait lieu. Les objectifs sont définis en termes structurels, c’est-à-dire hors effets de la conjoncture, en étudiant la sensibilité du déficit à la conjoncture et en fixant un objectif d’équilibre structurel suffisant pour que le déficit total, fluctuant avec la conjoncture autour de l’objectif, ne dépasse pas 3%. Pour la France, cela consiste en un objectif de déficit structurel de 0,5%. La dépense publique étant la donnée la plus difficile à ajuster rapidement, toute augmentation de la dépense publique en % de PIB potentiel doit être compensée par une augmentation équivalente des recettes.
2)
   Une partie corrective, pour le cas où le déficit est supérieur à 3%, et qui définit la vitesse à laquelle le déficit doit converger vers la limite de 3%. Cela consiste bien souvent imposer un effort structurel sur la période analysée, qui permet d’assurer le retour à 3%.

Le principal défaut de ces règles est qu’elles ne tiennent pas compte « a priori » de l’effet sur la croissance du rythme de réduction du déficit. Ainsi, la Commission européenne prévoit la croissance, en déduit la trajectoire du déficit si aucun effort n’est fait d’ici à la deadline, puis mesure l’écart à comber et le divise par le nombre d’années d’ici à la deadline. Ainsi, si un pays est à 4% de déficit et a deux ans jusqu’à la deadline, la Commission recommandera de réduire le déficit de 0,5 point par an. Seulement, si la réduction du déficit n’est pas compensée par d’autres facteurs (augmentation de l’endettement privé, de la demande extérieure), alors le déficit conjoncturel s’accroît et l’effort structurel est atténué, voire annulé si le multiplicateur keynésien est proche de 1. Ce manque de discernement a priori est en revanche compensé a posteriori : si la réduction du déficit structurel a un effet sur la croissance, cela se verra donc lorsqu’on comparera ce qui a été planifié par rapport à ce qui a été réalisé. Ainsi, dans une situation où les multiplicateurs budgétaires sont élevés (consolidation généralisée en Europe, peu d’activisme monétaire) la demande de délai supplémentaire est inévitable, à moins de redoubler d’effort en cours d’année lorsqu’on s’aperçoit du ralentissement de la croissance. Et encore, pour que cela fonctionne, il faut un multiplicateur inférieur à 1. Par exemple, s’il vaut 1/2 il faut un effort structurel de 1 point par an pour amener le déficit de 4% à 3% en deux ans.

Cet effet retour de la consolidation budgétaire avait été écarté à la création des règles, le consensus étant à l’époque que les multiplicateurs budgétaires sont proches de zéro quand la politique monétaire est opérationnelle. La crise financière rendu les instruments de politique monétaire traditionnels impuissants, et la BCE manque encore de volonté politique pour compenser cette impuissance. De plus, une relance monétaire n’est efficace que si elle relance l’endettement privé, ce qui n’est pas nécessairement une bonne idée, notamment en Espagne ou aux Pays-Bas. Le seul espoir pour ces pays est que l’effondrement de la demande interne soit compensée par une augmentation de la demande extérieure, ce qui est impossible si tout le monde consolide en même temps.

Peut-être faut-il donc comprendre les règles budgétaires à travers cette nouvelle situation économique, accepter le fait que les délais sont forcément trop optimistes a priori et qu’il faut mieux prendre en compte l’effet retour dû aux multiplicateurs pour éviter le psychodrame à chaque fois qu’un pays rate sa cible. Il faut mieux une règle souple bien appliquée qu’une règle dure mal appliquée. D’autant que la règle de Maastricht, même souple, est bien suffisante pour assurer une trajectoire saine. Par exemple, prenons les années 2000 en France. La conjoncture était bonne, les multiplicateurs keynésiens étaient donc probablement proche de zéro : toute réduction du déficit en France aurait eu des pressions déflationistes que la BCE aurait sû compenser. Le déficit était de 4% en 2003, et les facteurs conjoncturels étant légèrement positifs, cela se traduisait par un déficit structurel estimé aujourd’hui par la Commission à 4,8%. En supposant que les gouvernements Chirac aient su réduire le déficit structurel de 0,5 point par an juqu’à atteindre l’objectif de moyen terme, et que les multiplicateurs sont effectivement nuls, la dette publique française à l’aube de la crise aurait été de 54% du PIB, au lieu de 68%, et même avec une relance de 2 points de PIB en 2009 comme cela a été le cas, elle serait aujourd’hui stable autour de 64% au lieu d’augmenter et atteindre 93% en 2013.

Malgré tout, ces règles s’appuient sur une estimation du déficit structurel qui sont très fragiles à court-terme. Aujourd’hui, la Commission estime que le déficit structurel de la France était de 4,8% en 2003, mais à l’époque de l’ouverture de la procédure pour déficit excessif (le déficit total était de 4,1% en 2003), le déficit structurel était estimé à 3,8%. Ces estimations révisent considérablement, surtout lorsqu’une crise survient et qu’on est amené à révisé à la baisse la tendance, ce qui fait paraître la situation antérieure d’autant plus positive en comparaison de l’actuelle. Il n’empêche, même avec un déficit structurel estimé à 3,8% à l’époque, le respect des règles aurait conduit à une trajectoire de dette plus soutenable. Le graphique ci-dessous compare les trois situations, en train plein la trajectoire réalisée, en pointillé, la trajectoire avec un déficit estimé à 4,8% en 2003 et convergeant vers 0,5% au rythme de 0,5 point par an d’un côté, et 3.8% convergeant vers 0,5% de l’autre.  



On voit que l’erreur d’estimation du déficit structurel aurait eu peu d’impact. Une estimation plus basse du déficit signifie simplement que l’objectif de moyen-terme aurait été atteint deux ans plus tôt.

En revanche, dans le cas où la mesure du déficit structurel dépend de la conjoncture, elle ne corrige plus correctement l’effet de retour dû au multiplicateur keynésien. Ainsi, la Commission peut estimer à tort qu’un pays n’a pas rempli ses objectifs d’effort structurels en incluant une partie de la dégradation dans ses facteurs structurels. C’est tout l’enjeu de l’estimation de l’effort structurel aujourd’hui.

La dernière recommandation de la Commission Européenne (Lien) datant de mars 2014 est assez explicite : la Commission recommandait un effort de 1,3% en 2013 et de 0,8% en 2014 et 2015. L’effort mesuré est de 0.8% en 2013 et 0,5% prévu en 2014, mais en tenant compte des révisions de potentiel, il est estimé à 1,1% et 0,6%, soit 0,2 de moins que l’effort recommandé. La Commission demande donc à la France de justifier cet écart. La précision du calcul du déficit total est de l’ordre de 0,2 point, et celle du déficit structurel est encore pire. Il est tout à fait possible que cette estimation soit révisée en 2013 et 2014 à l’occasion des prévisions d’automne sur lesquelles la Commission se fondera pour évaluer les plans de la France.

Pour l’instant, rien ne peut conduire à penser que l’effort structurel jusqu’à présent était grossièrement insuffisant, surtout en étant modeste sur la précision de l’estimation de cet effort. La trajectoire de déficit structurel est extrêmement pentue, et approche l’objectif de moyen-terme de -0,5%. Le déficit résiduel sera donc principalement expliqué par des facteurs conjoncturels, sur lesquels le gouvernement a très peu de prises. En toute logique, en prenant la règle à la lettre, le délai devrait être étendu. S’il ne l’est pas, c’est que la Commission aura chamboulé son estimation du déficit structurel pour lui permettre de valider les préjugés des partisans de l’austérité à tout prix, convaincus que la France ne fait jamais assez. 



Dans l’histoire, ce ne sont pas les partisans d'une extension qui trahissent l’esprit de la règle, mais les partisans d'une application très étroite.