On entend souvent parler du taux de prélèvements obligatoires dans les comparaisons internationales pour déterminer le total des prélèvements que l'Etat fait "peser" sur les ménages et entreprises. Il se calcule comme la somme des impôts et cotisations perçus par l'Etat, divisé par le PIB. Comme le PIB est égal à la somme des revenus des agents de l'économie, les entreprises étant la plupart du temps détenues par des ménages résidant en France, c'est donc l'impôt moyen que paie un agent moyen, mi-travailleur mi-capitaliste une année donnée. Par exemple, prenons quatre pays européens assez représentatifs de différents systèmes (le Danois est réellement très à part, c'est intéressant de l'inclure dans les comparaisons).
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Or il est compris - à tort - par la plupart de ses utilisateurs comme le poids moyen de l'Etat sur chaque personne (physique ou morale). Rien n'est plus faux.
Prenez par exemple un pays dans lequel votre entreprise paie votre salaire annuel à l'Etat en début d'année, qui vous le reverse mois par mois, sans prélever autre chose que les intérêts sur la trésorerie, intérêts qu'il utilise pour fournir un service public minimum, digne du far west.
Dans ce pays, le taux de prélèvement obligatoire est de 100%. Cela décrit-il parfaitement notre pays fictif, qui serait ainsi une dystopie collectiviste? Evidemment non.
On aurait envie de regarder chaque personne, de faire la somme de ce qu'il donne à l'Etat au cours de sa vie, de ce qu'il en reçoit et de rapporter ça à ses revenus. Il est impossible de faire cela sans recouper des données fiscales, sociales tout au long de la vie d'une personne. Mais on peut essayer de donner une définition approchante.
Premièrement, une partie des impôts est rendue directement aux ménages à la fin de leur vie. C'est la retraite. Chacun reçoit donc une grosse partie de ce qu'il a cotisé tout au long de sa vie. C'est ce que je vais appeler les "prestations majoritairement d'épargne", c'est-à-dire que l'Etat se comporte un peu comme une compagnie d'assurance vous vendant un produit d'assurance-vie. Il y a bien sûr une partie qui est redistribuée mais pas tant (d'où le majoritairement). Comme avec une compagnie d'assurance, vous n'êtes jamais certain de récupérer ce que vous avez mis de côté, on n'est jamais à l'abri d'une baisse de la fécondité ou d'un crash financier. Finalement, qu'un ménage ait à verser 100 unités à l'Etat ou à sa compagnie d'assurance chaque année pour sa retraite est vécu de la même façon. C'est un prélèvement obligatoire, au sens où il faut le faire sous peine de le regretter.
Si je reprends mes quatre pays, et que j'enlève les retraites, on obtient un taux de prélèvements obligatoires qui tient un peu mieux compte du cycle de vie :
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Les différences se tassent, l'Allemagne se rapprochant très fortement du Royaume-Uni.
Deuxièmement, une partie des prélèvements est rendue au ménages quand il leur arrive ou à leur proche un souci de santé ou professionnel. C'est ce que je vais appeler les "prestations majoritairement assurantielles" : la maladie, le chômage, le veuvage. La distinction assurantielles et épargne peut paraître étrange, mais elle est relativement logique. Tout le monde doit mettre de côté pour sa retraite, en revanche, certains peuvent traverser une vie en rencontrant très peu la maladie ou le chômage, d'autres auront moins de chance. Il y a donc déjà un début de redistribution des ménages chanceux vers les moins chanceux. Comme la plupart des gens sont amenés à rencontrer l'un ou l'autre, on peut considérer que ces prestations sont justifiées et assez peu redistributives. Auquel cas on obtient un nouveau taux de prélèvements obligatoires tenant compte du cycle de vie :
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Immédiatement, on voit que l'Allemagne et la France passent en dessous du Royaume Uni. Outre-manche, les prélèvements servent bien moins à assurer les ménages contre les aléas de la vie et la retraite.
Troisièmement, une partie des prélèvements est rendue aux ménages qui en ont le plus besoin. C'est ce que je vais appeler les "prestations sociales majoritairement redistributives". Elles concernent le logement, l'exclusion sociale, les allocations familiales. Elles ne servent pas à l'Etat pour la fourniture de service public que certains pourraient juger inutiles, ou mal gérés, ou inefficaces.
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On remarque que les Britanniques sont les plus généreux en la matière. C'est la spécificité de ce système qui préfère redistribuer qu'impliquer l'Etat dans les décisions d'épargne ou d'assurance des ménages. L'impôt sur le revenu y est d'ailleurs souvent considéré plus redistributif qu'en France, notamment par des taux marginaux élevés et des crédits d'impôts famille forfaitaires plutôt que proportionnels, une conséquence de l'impôt à la source. A l'inverse, malgré des taux d'imposition élevé, le système danois redistribue finalement assez peu de prestations, préférant directement recruter des fonctionnaires pour fournir de l'aide aux ménages. Entre une pension servant à financer vos dépenses de santé ou une pension plus faible mais des services entièrement gratuits, chaque système a ses spécificités.
Le reste sert donc à financer la fourniture de services publics. Ces impôts sont donc le prix à payer pour les services que l'Etat fournit, que vous le vouliez ou non. La plupart des Etats développés sont arrivés à la même conclusion : un certain nombre de services ne peuvent pas être fournis pas le secteur privé (biens non rivaux, externalité, biens publics...) car la quantité fournie si on laissait chacun décider serait fortement sous optimale. Pensez par exemple à ce qu'il se passerait s'il fallait financer la justice sur la base du volontariat.
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Au final, le système Danois emploie beaucoup de fonctionnaires, les dépenses publiques allemandes sont très faibles une fois ôtées les prestations, et le système français est à mi chemin. Encore une fois, les Britanniques brillent par leur originalité, puisque l'Etat y dépense plus qu'en France ou en Allemagne pour fournir des services publics, mais que cela passe surtout par une consommation intermédiaire très élevée. Cela arrive quand l'Etat préfère faire appel à des sous traitants plutôt que de payer des fonctionnaires.
A noter tout de même que l'Allemagne dépense entre une fois et demi et deux fois et demi moins que la France ou le Royaume Uni pour la Défense, ce qui explique une partie de l'écart de dépenses en services publics.