Mentir, c'est un métier. Il faut un certain talent et beaucoup de culot, pour pouvoir à ce point tordre les chiffres. Je prendrai comme exemple les articles de Pierre-Antoine Delhommais (ci-après PAD), éditorialiste au Point. Ça tombe sur lui, mais ça aurait pu être un autre. Tant pis pour lui.
Commençons par l'article d'aujourd'hui intitulé : "La France et ses comptes de fées". Dans cet article, PAD annonce la couleur en citant Churchill : "Je ne crois aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées". Joignant le geste à la parole, s'ensuit un gloubi-boulga de chiffres destinés à embrouiller le lecteur, et dont voici la substantifique moelle :
" Nicole Bricq, en avait officiellement présenté, à Bercy, les résultats pour l'année 2013 : un déficit de 61,2 milliards d'euros, en recul de 6 milliards par rapport à 2012 (...) Le hic, c'est que l'Office européen des statistiques n'arrive pas du tout au même résultat. Selon Eurostat, le déficit commercial de la France n'a pas été en 2013 de 61,2 milliards d'euros, comme annoncé par Paris, mais de 76,3 milliards"
Le hic, comme il dit, c'est que ce chiffre de 76.3 Milliards n'est pas publié par Eurostat, qui publie les chiffres du commerce extérieur que l'INSEE lui envoie, voici les déficits commerciaux publiés depuis fin mars 2014 pour les années 2011 à 2013 :
Source : Eurostat |
Et voici les chiffres publiées par la France avant le changement de méthodologie du 15 mai dernier :
Source : INSEE |
Comme on peut le constater, le solde total est rigoureusement identique. La PCHTR correspond au solde touristique : s'il est positif, cela signifie que les touristes étrangers consomment plus en France que les touristes français à l'étranger. La France étant un pays touristique, c'est le cas.
Le solde des biens d'Eurostat correspond au solde des biens de l'INSEE augmenté de la correction CAF-FAB. Celle-ci est l'objet du délit pour PAD, puisque c'est elle qui permet d'avoir un écart entre le 74.7 milliards d'euros de déficit (73.6 d'après PAD, on est proche) et le 61.2 Milliards de Nicole Bricq (proche des 58.4 milliards d'Eurostat). Puisque PAD ne souhaite pas "entrer dans les détails techniques", on ne va pas se gêner, nous. Toutes les douanes du monde enregistrent les exportations et les importations au prix à la frontière de leur pays. Seulement, lorsque la France importe un iPhone depuis la Chine, le prix au port de Shanghaï (enregistré par les douanes chinoises) est différent du prix au port du Havre (enregistré par les douanes françaises). Cette différence correspond à la marge du transporteur, qui sera ensuite enregistrée comme export de service pour le pays de résidence du transporteur. Afin de réconcilier les données de chaque pays, les administrations statistiques (INSEE, Eurostat...) se sont mises d'accord pour enregistrer les données au prix à la frontière du pays exportateur, ce qui permet de faire notamment la différence importations moins exportation, la logique étant de faire la différence entre les rémunérations des pays producteurs. Dans le cas de la France important son iPhone depuis la Chine, il faut donc enregistrer les importations au prix à l'embarquement à Shanghaï, donc hors coût de transport. Si le transporteur est philippin, la France importe du service de transport depuis les Philippines.
Mais PAD est soit ignorant, soit malhonnête, puisqu'il prétend que la Direction Générale des Douanes est la seule direction statistique du monde à comptabiliser les importations à la frontière chinoise (FAB pour "franco à bord"), contrairement à Bruxelles qui comptabiliserait en CAF (Coût d'assurance et de fret inclus). Alors que c'est parfaitement le contraire, les douanes comptent en CAF pour les importations, et FAB pour les exportations, et Bruxelles, comme l'INSEE, corrigent cela pour obtenir tout en FAB. Le ministère du commerce extérieur fait la même chose. Les allemands et les italiens font la même chose. Et d'ailleurs, c'est parfaitement normal que la correction CAF-FAB améliore le solde commercial des biens, puisque qu'on se contente d'enlever du prix des biens importés le coût de transport. Si on ne l'enlevait pas, on le compterait deux fois : comme importation de biens, et comme importation de service de transport.
Par exemple, prenez la publication du ministère du commerce extérieur (lien), et vous verrez qu'ils parlent de CAF-FAB (environ 79.1 Milliards d'après leurs estimations de février) et de FAB-FAB sur lequel ils titrent (les fameux 61.2 Milliards de Nicole Bricq). Il est toujours possible de retrouver le chiffre hors correction CAF-FAB, puisqu'il suffit pour chaque pays de faire la somme des soldes commerciaux pour chaque secteurs industriels (ce que fait l'INSEE), la correction étant ensuite estimée à part, tous secteurs confondus, et ajoutée au total, l'INSEE choisissant de ne pas faire la distinction entre biens et services, Eurostat choisissant d'imputer toute la correction CAF-FAB aux biens.
Sachant cela, je vous laisse apprécier la suite de l'éditorial :
"Il n'en reste pas moins que les spécificités méthodologiques françaises ont pour heureuse conséquence d'améliorer de façon significative les résultats de notre commerce extérieur par rapport à ceux que fournit Eurostat, ce qui est forcément un peu dérangeant. D'où aussi cette question naïve : le gouvernement conserverait-il les mêmes méthodes de calcul si elles avaient pour effet d'augmenter le déficit et non, comme c'est le cas, de le réduire ? (...) Les statistiques françaises du commerce extérieur présentent cette grande originalité de ne pas être fausses mais de ne pas être fiables. Compte tenu de leur spécificité, impossible de s'appuyer sur elles, par exemple, si l'on souhaite comparer notre balance commerciale, donc notre compétitivité, avec celle des autres pays. Ce sont les données en provenance de Bruxelles, de Berlin ou de Rome, cohérentes entre elles, qu'il faut alors consulter."A quand la disparition de ces faux économistes?
PS : Ces chiffres doivent être mis à jour du changement méthodologique du 15 mai dernier (commun à tous les pays européens, mais la France et les Pays-Bas sont les premiers à avoir appliqué ces nouvelles méthodes, les autres pays ayant jusque septembre), puisque désormais ce n'est plus le passage de frontière qui détermine l'exportation ou l'importation mais le changement de propriété. Par exemple, dans le cas du négoce international, un marchand français achetant des voiture en Turquie pour les revendre en Russie, sans que cela ne passe la frontière française, exportait un service commercial égal à sa marge. Désormais, c'est comptabilisé en importation depuis la Turquie puis exportation vers la Russie. Autre exemple, le cas du travail à façon, une usine française envoyant un produit non fini en Espagne pour qu'il soit modifié avant de revenir terminer sa chaîne de production en France, exportait un bien et importait un bien. Désormais, seule la marge de l'entreprise espagnole est importée. Bref, tout cela change les niveaux et répartit différemment les exports et imports, certains pays y gagnant d'autres y perdant. Cela donne la série suivante pour la France, publiée sur le site de l'INSEE et bientôt sur Eurostat.
Source : INSEE |
Au final, quel que soit le chiffre que vous regardez, le déficit commercial français s'est réduit d'entre 6 et 9 milliards en 2013.
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