mardi 4 octobre 2016

Immigration et performance macroéconomique

J'ai récemment mis la main, et eu à commenter, un papier étudiant l'interaction entre immigration et performance macroéconomique en France. J'ai trouvé cet article très bien rédigé, clair, et leur utilisation d'une base de données nouvelle permet d'apporter une quantité d'éclairages possibles sur le fonctionnement du marché du travail, sur la complémentarité entre le travail des résidents et des immigrés, et sur les possibles résultats contre-intuitifs - notamment sur le fait que l'immigration "subie" aurait un effet plus positif sur l'économie que l'immigration "choisie". Si bien que je reproduis ici telle quelle la note de lecture envoyée à ce sujet. 

(Lien vers une version gratuite de l'article : Immigration Policy and Macroeconomic Performance in France)

L'objectif de l'article est d'étudier les interactions entre la performance macroéconomique et l'immigration en France, sans se restreindre à un seul sens de causalité. Pour cela, les auteurs conduisent une analyse à l'aide d'un VAR structurel qui leur permet, sous certaines hypothèses identificatrices, d'isoler les chocs de demande et d'en étudier les effets sur le nombre de titres de séjour délivrés, mais également d'isoler les chocs d'immigration et d'en étudier les effets sur le revenu par habitant et le chômage.

Les données d'immigration utilisées couvrent la période de 1994 à 2008 et ont été compilées par l'INED dans une base qui fait figurer les flux mensuels de titres de séjour de longue durée délivrés, par motif – regroupement familial, travail, étudiant – par nationalité d'origine, sexe et âge. Les données de PIB par habitant sont celles publiés par la comptabilité nationale trimestrielle, mensualisées par l'indicateur de production industriel publié par l'OCDE. Le chômage mensuel provient également de données publiées par l'OCDE.

Les modèles estimés suivent la structure suivante : le PIB par habitant, le taux de chômage, et enfin un ou plusieurs indicateurs d'immigration. Les modèles diffèrent selon ce dernier, le premier considérant l'ensemble des titres de séjour émis, les autres se restreignant à certains motifs, groupes d'âges, sexes et pays d'origine, mettant ainsi à profit le détail des données utilisées. Les fonctions d'impulsion réponse sont calculées tout d'abord en supposant que les conditions macroéconomiques n'ont pas d'effet contemporain sur l'immigration mais uniquement avec un retard. Le PIB par habitant est supposé avoir un effet contemporain sur le chômage mais pas le contraire. Cela revient ainsi à identifier les chocs structurels de revenu, chômage et immigration à l'aide de la décomposition de Cholesky dans le cas où les variables sont ordonnées de telle façon à faire figurer l'indicateur d'immigration en premier, puis le PIB par habitant, puis le chômage. La robustesse de cette stratégie est par la suite testée en adoptant la méthode de « restriction de signe », dans laquelle les auteurs considèrent également toutes les décompositions conduisant à des chocs structurels de demande ayant un effet positif sur le revenu par habitant et négatifs sur le chômage pendant les 12 mois suivant le choc.

Les conclusions de l'article sont les suivantes :

  1. Le nombre de titres de séjour de long terme délivrés par l'administration répond de manière significativement positive, et de manière persistante, à l'amélioration des conditions macroéconomiques, et particulièrement lorsque l'analyse est restreinte aux titres délivrés dans le cadre du regroupement familial et de l'immigration de travail (respectivement 37,7 % et 7,8 % des titres délivrés sur la période). Une augmentation de 1 % du PIB par habitant augmenterait ainsi le flux de titres de séjour délivrés de 0,2 % la première année et de près de 0,3 % à moyen terme (trois ans). L'effet est plus élevé à court-terme dans le cas de l'immigration de travail mais plus persistent dans le cadre de l'immigration pour motifs familiaux. Il est similaire par groupes d'âge et par sexe. Il est notamment intéressant de noter que l'immigration de travail en provenance des pays en voie de développement réagit moins fortement à l'amélioration des conditions macroéconomiques que l'immigration de travail en provenance des pays riches. Les réponses de l'immigration pour motifs familiaux sont en revanche similaires quelle que soit la nature du pays d'origine.
  2. Le PIB par habitant augmente suite à un choc d'immigration, une conclusion qui reste robuste à travers tous les modèles étudiés – choc d'immigration pour motifs familiaux, professionnels, en provenance de pays développés, etc. Quantitativement, cette effet serait élevé : une hausse de 1 % du taux d'immigration est associée à une hausse du PIB par habitant de 0,4 % la première année. Cet effet reste légèrement positif, et statistiquement significatif, à un horizon de trois ans. Il est nettement plus important et persistant dans le cas de l'immigration pour motifs familiaux, et ce quelle que soit la nature du pays d'origine.
  3. L'immigration de travail augmente légèrement le chômage tandis que l'immigration pour motifs familiaux n'a pas d'effet significatif. Une augmentation de 1 % du nombre de permis délivrés pour motifs professionnels augmente le taux de chômage pendant trois ans de 0,5 % (soit 0,05 points de pourcentage pour un taux de chômage de 10%)  Cet effet disparaît lorsqu'on exclut de l'estimation la période 2003-2008, durant laquelle est survenu un changement de politique d'attribution des titres de séjour, au profit de l'immigration de travail.


Les auteurs proposent plusieurs interprétations pour leurs résultats et les comparent à la littérature existante. La réponse de l'immigration à l'amélioration des conditions macroéconomiques est en ligne avec la littérature, mais la distinction entre immigration de travail et immigration familiale permet d'analyser les canaux à l’œuvre, à savoir si l'effet traduit surtout une relaxation des conditions d'attribution des titres de séjour (canal de « l'offre ») ou une plus forte demande d'entrée sur le territoire. L'immigration familiale étant un droit accordé dans le cadre de conventions internationales, on peut s'attendre à ce que dans ce cas l'offre soit assez peu élastique aux conditions macroéconomiques. La forte réponse de l'immigration familiale à l'amélioration des conditions macroéconomiques montre ainsi que la demande joue un rôle important.

La réponse du chômage à un choc d'immigration est également en ligne avec la littérature, qui trouve généralement un effet soit légèrement positif, soit non significatif. Le fait que l'effet positif semble transiter par l'immigration de travail est une contribution originale de l'article. En revanche, l'article se démarque de littérature existante, et notamment celle sur données de panel, en trouvant un effet positif et persistant de l'immigration sur le PIB par habitant. Sur données françaises, les auteurs citent notamment Hunt (1992), qui étudie l'effet des rapatriés d'Algérie et trouve un effet négatif sur les conditions macroéconomiques. Ce résultat différent ne serait pas nécessairement dû à la méthodologie employée, dans la mesure où des modèles similaires sur données américaines trouvent un effet nul ou légèrement négatif à court terme (par exemple Kiguchi & Mountfort, 2013). Encore une fois, la distinction par motifs d'immigration permet aux auteurs de proposer plusieurs explications à ce résultat. Notamment, que l'immigration permet d'atténuer les effets du vieillissement de la population, en augmentant la   part de la population en emploi (effet de composition) et en réduisant les besoins de financement de la protection sociale (effet de pression fiscale). Le fait que cet effet soit plus important  dans le cas d'une immigration pour motifs familiaux, de personnes moins qualifiées ou pas encore en âge de travail suggère que d'autres canaux sont à l’œuvre. Les auteurs proposent la complémentarité entre les immigrants non qualifiés et les résidents, qui jouerait ainsi à plein sur le PIB par habitant, contrairement à l'immigration qualifiée. Un autre canal hypothétique serait celui de la réussite à l'école des enfants nés en France lorsque la part d'immigrants dans leur classe augmente. L'étude citée par les auteurs, (Hunt, 2012) sur données américaines, montrent qu'une augmentation de cette part augmente la probabilité que les enfants natifs terminent le lycée, mais cet impact n'a pas été testé en France.

Ces conclusions sont à mettre en lien avec la littérature sur l'ouverture commerciale et financière, et rejoignent un ensemble de travaux montrant que les gains potentiels à la mobilité sur capital humain sont plus importants que ceux liés à la mobilité du capital physique ou à l'ouverture commerciale, en raison de complémentarités plus importantes.

Commentaires :

Le principal apport de l'article est l'originalité de la base de données utilisée. Pour la France, c'est la première base de données sur si longue période, à une fréquence aussi fine. La plupart des résultats obtenus sur données françaises l'ont été jusqu'à présent à partir d'expériences naturelles et de données de panel. La méthode retenue ici, celle d'un VAR structurel, permet également de tenir compte d'éventuels effets d'équilibre général, qui ne sont a priori pas négligeables dans l'analyse.

La lecture des résultats faite par les auteurs semble être également tout à fait adaptée. Il est toutefois de rigueur de souligner les points suivants :

1) L'immigration est approchée par le nombre de titres de séjour de long-terme délivrés par l'administration, et non par le nombre d'entrées sur le territoire, légales ou non. Il est ainsi plus prudent d'interpréter l'impact d'un choc d'immigration sur les conditions macroéconomiques comme l'impact d'un choc d'immigration légale et de long-terme sur les conditions macroéconomiques. Que celui-ci soit fortement positif reste toutefois une conclusion intéressante.

2) L'analyse de robustesse conduite par « restriction de signe » concerne l'effet de l'amélioration des conditions macroéconomiques sur l'immigration. La robustesse des résultats concernant l'impact des conditions macroéconomiques sur l'immigration, et notamment leur dépendance à l'hypothèse de Cholesky, n'est pas discutée dans l'article. Notamment, si l'amélioration des conditions macroéconomiques peut être anticipée par les candidats à l'immigration, cela peut conduire à surestimer l'impact d'un choc d'immigration sur le revenu par habitant.

Références :

D'Albis, H., Boubtane, E., Coulibaly, D. : « Immigration Policy and Macroeconomic Performance in France », Annals of Economics and Statistics, Number 121/122, June 2016

Hunt, J. : « The Impact of the 1962 Repatriates from Algeria on the French Labor Market», Industrial and Labor Relations Review, 1992.

Hunt, J. : « The Impact of Immigration on the Educational Attainment of Natives », Tech. Rep. 18047, NBER Working Paper, 2012


Kiguchi, T. Mountford, A. : « The Macroeconomics of Immigration », Tech. Rep. 45517, MRPA Paper, 2013.

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