Cet article de Paul Krugman (lien) faisant le lien vers un autre article de lui-même, publié dans Slate en 1997 (lien) soulève une question intéressante que j'ai envie d'aborder ici.
L'idée de Paul Krugman pour étudier l'effet du progrès technique sur l'emploi est de considérer une économie à deux biens, le pain et la saucisse. La seule chose qui intéresse les consommateurs est le hot dog, c'est-à-dire qu'ils achèteront autant de baguettes que de saucisses, pour faire autant de hot dogs.
Supposez que vous avez 120 millions de personnes travaillant dans cette économie, 60 millions de boulangers produisant une baguette par jour, 60 millions de charcutiers produisant une saucisse par jour. Le PIB quotidien de cette économie, égal à la consommation, est 60 millions de hot dogs.
Tout d'un coup, une innovation technique permet un boulanger de produire deux baguettes par jour au lieu d'une. Comme il ne sert à rien de faire trop de baguettes, chaque baguette en trop sera jetée et une partie des boulangers n'arrivant plus à vendre sa baguette deviendra charcutier. L'équilibre final sera 40 millions de boulangers produisant deux baguettes par jour, et 80 millions de charcutiers produisant une baguette par jour. Le PIB de cette économie devient 80 millions de hots dogs (+33% de croissance).
Si on regarde le marché de l'emploi du boulanger, on dira que 20 millions d'emplois ont été détruits dans la boulangerie. Arnaud Montebourg appellera à un plan général pour sauver le secteur en subventionnant l'achat de baguette. Mais si on regarde au total, ces 20 millions d'emplois détruits ont été compensés par 20 millions d'emploi créés dans la charcuterie. Bien sûr, certains diront que bientôt le progrès technique détruira des emplois de charcutiers comme il l'a fait avec la boulangerie, mais c'est faux, car si les charcutiers se mettent à produire deux saucisses par jour, on reviendra à 60 millions de charcutiers et boulangers, chacun produisant deux items par jour, et le PIB sera de 120 millions de hot dogs.
Le but de cette parabole est de faire comprendre que le progrès technique peut détruire des emplois dans un secteur mais pas dans tous les secteurs à la fois.
Il y a au moins deux limites à cette parabole, outre le simple fait que nos économies sont plus compliquées que l'économie du sandwich.
D'abord, dans la vraie vie, quelqu'un ayant étudié pour être boulanger et ayant travaillé comme boulanger pendant 20 ans ne peut ou ne veut pas du jour au lendemain devenir charcutier. Arnaud Montebourg a peut-être raison de maintenir l'activité de boulangerie jusqu'à la retraite de 20 millions de boulangers, tout en décourageant les jeunes à faire des études de boulangerie et en les orientant vers la charcuterie. Chose qu'ils feront tout seuls d'ailleurs s'ils sont un peu rationnels. C'est ça ou payer des allocations chômage aux boulangers, ce qui est moins gratifiant.
Enfin, pour répondre aux décroissants, une augmentation du PIB n'est pas nécessairement une augmentation du nombre d'objets physiques. Ici, la croissance passe par un nombre plus élevés de hot dogs, c'est possible qu'à un moment les consommateurs aient trop de hot dogs. Je pourrais argumenter qu'on est bien loin d'une telle abondance dans la plupart des pays du monde, mais que même si on l'atteint, la croissance peut venir des services et de l'amélioration de la qualité des biens. En gros, dans un monde où tout le monde mange à sa faim, a un frigo, une voiture et un ordinateur, la croissance provient de la multiplication des services, et de frigo, voiture et ordinateur de meilleure qualité, pour lesquels les gens sont prêts à payer plus cher.
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