Le multiplicateur budgétaire est l'impact sur le PIB de 1€ d'augmentation sur les dépenses publiques. Il est possible de l'estimer empiriquement, mais ces estimations ne pourront se détacher de la spécificité des circonstances de la période et du lieu d'estimation. Il est possible de le construire théoriquement, mais il faut une théorie qui tienne la route.
L'idée du multiplicateur est né de Keynes, et part de l'identité comptable ci dessous : tout ce qui est produit (Y) et importé (M) dans l'économie est consommé par l'Etat (G) ou les ménages (C), investi (I), ou exporté (X)
Y = C + I + G + X - M
Y représente la production, mais également le revenu avant impôts (T) puisque in fine les entreprises appartiennent aux ménages. La consommation des ménages C représente une fraction c du revenu de ces ménages, appelé la propension marginale à consommer.
On a donc Y = c(Y-T) + I + G + X - M
Ce qui donne Y(1-c) = G + I -cT + X - M.
Laissant tout le reste inchangé, l'impact sur Y d'une augmentation de G est donc 1/(1-c) > 1. En achetant une Peugeot, l'Etat permet aux salariés de Peugeot de gagner plus d'argent, donc de consommer une fraction de ce surcroît d'argent, ce qui profitera à d'autres agents de l'économie, etc... De la même façon, l'impact de la réduction des impôts est c/(1-c), plus petit que le multiplicateur de la dépense.
Bien entendu, les autres termes de l'équation évoluent en fonction de la dépense publique, de la politique monétaire, et c'est le but de la macroéconomie d'élaborer le modèle détaillant le mieux les interactions entre les agents. On ne va pas rentrer dans le détail de tous les modèles ici, mais en résumé
1) On a les modèles ad hoc type IS-LM ou AS-DS, où les anticipations des agents n'entrent pas en compte.
2) Ces modèles n'ont pas résisté à la Critique de Lucas formulée en 1976, et des modèles prenant en compte les anticipations ont été construits, comme les RBC.
3) Ces modèles décrivant très mal les fluctuations économiques, leurs hypothèses ont été revues par la Synthèse néo-keynésienne, en introduisant par exemple des rigidités sur les prix ou des marchés du crédit imparfaits.
Et on a abouti aujourd'hui à développer une classe de modèles encore très imparfaits, les DSGE, mais qui sont des outils utiles pour penser l'économie, et notamment dans le cadre de ce post pour réfléchir à l'impact des circonstances sur le multiplicateur budgétaire.
On a vu que dans le cadre de notre identité comptable le multiplicateur associé à une baisse des impôts était plus faible que celui associé à une hausse des dépenses. C'est ce qui a malheureusement conduit à associer Keynes et socialisme. La vérité est beaucoup plus compliquée que cela, les économistes se déclarant Keynésiens aujourd'hui sont ceux qui croient en des modèles pouvant conduire dans certaines circonstances à des multiplicateurs élevés. Les autres économistes, en général des théoriciens RBC, travaillent sur des modèles n'exhibant que très rarement des propriétés dites "keynésiennes". Etant donné qu'il est très difficile de confirmer ou infirmer une théorie en sciences sociales, beaucoup de théories coexistent encore. Néanmoins, depuis la crise, les modèles néo-keynésiens ont pris de l'ampleur car ils semblent pour l'instant mieux décrire le fonctionnement de l'économie dans ces circonstances extrêmes, et ce sont ceux utilisés par les Banques Centrales.
Bien entendu, le diable est dans les détails. Un modèle DSGE néo-keynésien comme celui de la Commission Européenne pourra conduire à des multiplicateurs budgétaires très différents de celui du FMI, tout dépend des hypothèses retenues. Le débat sur quelles hypothèses permettent d'avoir le meilleur modèle prédictif n'est pas tranché. Néanmoins, il y a des constantes qu'on peut exposer ici rapidement. Pour plus de détail, voir par exemple ce papier de la Commission Européenne qui effectue une revue de la littérature sur les multiplicateurs budgétaire.
- Le multiplicateur dépend avant tout de la réponse de la Banque Centrale au changement de politique budgétaire. Dans la majorité des cas, lorsque l'économie est proche de son potentiel, que l'inflation est stable et que les taux d'intérêts nominaux sont largement positifs, la Banque Centrale est capable de compenser entièrement l'effet sur le PIB de l'augmentation ou de la réduction du déficit en adaptant sa cible de taux. Dans ce cas, le multiplicateur est proche de zéro. Dans ce cas, on n'a pas besoin de relancer, mais on sait qu'on peut en profiter pour réduire le déficit et la dette sans impact sur la croissance ou le chômage. C'est le policy mix de Clinton et Greenspan.
- Dans le cas où la politique monétaire est contrainte par des taux nominaux ne pouvant être négatifs, on passe dans Bizarro World : le fait qu'une politique budgétaire expansionniste est inflationniste devient une excellente chose puisqu'à taux nominal constant (=0) ça , la politique monétaire ne peut rien faire pour compenser la politique budgétaire, etc... et les multiplicateurs budgétaires sont très élevés.
- Plus les prix sont rigides et les agents contraints financièrement (c'est-à-dire moins ils adapter leur épargne ou s'endetter pour lisser leur consommation dans le temps), plus on se rapproche de la situation du modèle IS-LM et plus les multiplicateurs sont élevés
- Plus l'économie est ouverte, plus les multiplicateurs sont faibles.
- La nature des dépenses changent le multiplicateur. Les hausses de dépenses d'infrastructure, de recherche, d'éducation et les baisses d'impôts sur les ménages les plus pauvres tendent à avoir des multiplicateurs élevés, les baisses d'impôts sur les ménages riches et de TVA tendent à avoir des multiplicateurs faibles.
Dans ce papier, Olivier Blanchard étudie l'impact qu'ont eu les erreurs d'estimation du multiplicateur pendant la dernière sur les prévisions de croissance. Cela peut être résumé en un graphique
Pour la Grèce par exemple, une réduction du déficit programmée de 5 point de PIB a conduit à une erreur sur les prévisions de croissance de 5 points. Cela signifie que le multiplicateur a probablement été sous estimé de 1, c'est-à-dire que si le modèle du FMI avait des multiplicateurs sous-jacents de 0.5, la réalité était probablement plus proche de 1.5.
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